Norvège : La manne pétrolière

Avec un baril de brut qui frôle les 140 dollars, les regards des pays importateurs se tournent vers les fournisseurs de cet or noir, OPEP en tête, qui engrangent les profits sous forme de pétrodollars. Plus près de chez nous, la manne pétrolière profite aussi… à la Norvège.

Le pays est en effet le huitième producteur et le cinquième exportateur mondial de pétrole. Le brut exploité l’est principalement via des forages off-shore en Mer du Nord ou en Mer de Norvège. 20 milliards de barils de pétrole ont été extraits du plateau continental norvégien depuis que la production a commencé en juin 1971. L’an dernier, la Norvège a produit 2,56 millions de baril par jour (mbj) de pétrole sur les 4,95 mbj produits en Europe (zone OCDE), selon l’Ufip[1].

La Norvège s’intéresse également au gaz naturel dont elle est le troisième exportateur mondial derrière la Russie et le Canada. En 2006, la production norvégienne de gaz naturelle a représenté près de 30 % de la production totale de l’Europe de l’Ouest, devant le Royaume-Uni (27,2 %) et les Pays-Bas (21,1 %), toujours selon les données de l’Ufip.

La Norvège est exportateur excédentaire de pétrole et de gaz depuis 1975. Le mois dernier, son excédent commercial a bondi de près de 70 % à environ 5 milliards d’euros (environ 40 milliards de couronnes norvégiennes), dopé par la flambée des cours du brut. Sans les hydrocarbures, la balance commerciale serait déficitaire de quelque 10 milliards de couronnes.

Que devient cet argent ? Le pays a créé en 1990 un « Fonds pétrolier du Gouvernement », illustration de sa tradition de démocratie, d’Etat providence mais aussi d’économie de marché. A la fin 2006, le « Fonds global de pension » – son nouveau nom -, comptait près de 220 milliards d’euros. Et le gouvernement norvégien n’exclut pas le doublement de cette enveloppe d’ici 2009.

Ce fonds est affecté au financement des retraites norvégiennes. Cette gestion raisonnée des revenus issus de la manne pétrolière est destinée à mettre l’économie nationale à l’abri des coups durs. La Norvège est aujourd’hui l’un des pays les plus riches du monde, avec un PIB/habitant de près de 55 000 euros (environ 37 000 euros en parité de pouvoir d’achat) et une croissance consolidée du PNB pour la période 2004-2006 qui dépasse 10 %, dont près du quart est provenu, en valeur courante, du secteur du pétrole et du gaz.

Bien avant que les fonds souverains chinois fassent parler d’eux, le fonds pétrolier norvégien a adopté une stratégie d’investissement rentable à l’étranger. Du coup, pendant de nombreuses années, les Norvégiens ont vécu sur les intérêts qui courraient.

Une politique prudente et maîtrisée qui a tenu le pays a l’écart du « mal hollandais », du nom de l’affection qui avait frappé son voisin dans les années 1960. Malgré tout cette gestion est critiquée depuis quelques temps par une population qui estime de moins en moins en voir les bénéfices et devoir, à l’inverse, de plus en plus « mettre la main à la poche ». Sur le plan politique, ce mécontentement s’est vivement manifesté par la chute récente du gouvernement de droite.

Sur le plan économique, le gouvernement a décidé de renforcer sa mainmise dans le secteur en augmentant sa participation dans StatoilHydro, né du rachat par Statoil des activités hydrocarbures de Norsk Hydro pour former un des dix premiers groupes pétroliers au monde. Dans l’histoire économique du pays, le secteur énergétique a largement été sous le contrôle étatique, par le biais de grandes entreprises publiques. En 2000, le gouvernement avait toutefois amorcé une phase de privatisation. En montant jusqu’à 67 % du capital du mastodonte coté à la Bourse d’Oslo, l’Etat norvégien revoit aujourd’hui sa stratégie et consolide sa plus grande source de revenus.

Néanmoins, la conjoncture est difficile. Face à une demande mondiale en incessante hausse, l’état de l’offre interroge. Depuis le début de l’année, la production norvégienne de brut est en recul, estime l’AIE[2] : elle était de 2,11 mbj en mai et pourrait tomber à un plus bas de 1,6 pour ce mois de juin. « La production totale de pétrole (dont les gaz liquide naturel et les condensats, pétrole léger) est estimé à 2,4 millions de barils par jour en 2008 », a indiqué récemment le Ministère du pétrole et de l’énergie. Malgré tout, compte tenu de l’envolée des prix, la Norvège pourrait bien retirer autant voire plus d’argent de ses hydrocarbures.

La Norvège a aussi des ressources cachées. Le Conseil d’Administration du Pétrole pense que presque 40 % des ressources de pétrole commercialisable découvertes sur le plateau d’Ekofisk, emplacement historique du début de l’aventure pétrolière norvégienne, n’ont pas encore été extraites.

En outre, de nombreux champs n’ont probablement pas encore été découverts. Le Conseil d’Administration du Pétrole estime que les ressources non découvertes à elles seules s’élèvent à 7,3 milliards de barils de pétrole. 

Le pays scandinave compte bien mettre les moyens nécessaires. Les investissements dans le secteur pétrolier incluant les investissements en matière d’exploration devraient atteindre 125 milliards de couronnes (15 milliards d’euros) cette année, soit une hausse de 10 % par rapport à 2007.  

Les « pétro-couronnes » semblent plutôt bien utilisées… même si aucun pays n’est à l’abri de la malédiction de la rente pétrolière.

 

Alexandra Voinchet

 

 



[1] Union Française de l’Industrie Pétrolière

[2] Agence Internationale de l’Energie