La grande mutation des marchés financiers.

Les marchés financiers comprennent de nombreux compartiments : titres (actions, obligations, trackers, SICAV et FCP, etc.), matières premières (y compris l’or et le pétrole), change (dollar, euro, yen, etc.), taux (marché monétaire) et produits dérivés.

Il est d’usage de distinguer les « marchés cotés », c’est-à-dire faisant l’objet de transactions réglementées et contrôlées par des instances de supervision (telle l’AMF en France)et « les marchés de gré-à-gré », où les échanges bilatéraux ne sont pas soumis à des règlementations strictes, en terme de d’information et de transparence.

Notons qu’un même instrument, par exemple, les actions, peut appartenir parallèlement aux deux marchés : les sociétés du CAC 40 sont cotées sur Euronext, alors que les petites sociétés en phase de croissance ne sont en général pas cotées, leurs actions pouvant être cédées de gré-à-gré. Bien sûr, on peut passer du marché de gré-à-gré au marché coté, ainsi que le font les entreprises de haute technologie qui demandent leur admission à Alternext ou, inversement, quitter la cote pour redevenir non-coté (« public to private »).

  

VERS UNE DIVERSIFICATION GEOGRAPHIQUE ET SECTORIELLE ACCELEREE DES MARCHES FINANCIERS

 

La diversification géographique s’est accélérée depuis quelques années. Ainsi, en 2007, les entreprises chinoises ont levé près de 50 milliards de dollars, contre seulement 42 milliards pour les entreprises américaines. Par ailleurs, six des dix principales introductions en bourses (IPOs) aux Etats-Unis, en 2007, ont été le fait d’entreprises étrangères. Clairement, les entreprises des pays émergents (Chine, Russie, Inde, Brésil) sont désormais très actives, soit sur leur propre marché, soit à Londres ou à New-York.

Dans le même temps, des instruments financiers nouveaux sont apparus sur les marchés : « trackers » ; produits dérivés de deuxième ou troisième génération ; avatars de la titrisation, tel que les CDOs (pivots de la crise des « subprimes »). L’innovation financière a permis de développer de nouveaux segments de marché : les produits liés aux fluctuations climatiques (dérivés permettant de se couvrir contre le risque de réchauffement), les « cat-bonds » (utilisés pour se protéger des risques de cataclysme naturel), le marché carbone ( qui permet d’échanger les droits à polluer), etc.

 

ARRIVEE DE NOUVEAUX ACTEURS

 

Ceux-ci possèdent des profils très variés. On  mentionnera d’abord « les fonds souverains » qui sont rentrés dans le capital d’entreprises ou de banques (Citibank, UBS) à la recherche de capitaux ; on citera par exemple : l’ADIA (Emirats Arabes Unis),  le GIC (Singapour), le CIC (Chine), Temasek (Singapour) ou le « Governement Pension Fund »norvégien.

Autres intervenants puissants : les fonds d’arbitrage (ou « hedge funds »). On en recense près de 9000 dans le monde, gérant plus de 1500 milliards de dollars. Ils sont caractérisés par des stratégies de court terme et opèrent surtout sur des sociétés sous-valorisées ou en période de retournement.

Ils rencontrent alors d’autres opérateurs très actifs depuis maintenant une décennie : les fonds d’investissements (« private equity funds »). Au départ, les KKR, Permira, TPG et autres Pardus s’intéressaient plutôt aux entreprises non-cotées ; mais depuis la crise boursière de 2001, on les voit intervenir de plus en plus sur des sociétés cotées. Rien qu’en France, 1500 entreprises sont contrôlées par des fonds de capital-investissement. En 15 ans, le volume des actifs qu’ils gèrent dans le monde a été multiplié  par 100 !

Enfin, bien que leur présence sur le marché soit plus ancienne, il ne faut pas oublier les « fonds de pension tels que CALpers, aux Etats-Unis. Leur stratégie porte plus sur le long terme, mais leur influence s’exerce de plus en plus sur les entreprises dans lesquelles ils investissent.

La situation tend aussi à devenir de plus en plus complexe, dans la mesure où les frontières s’estompent : certains hedge funds s’intéressent au « private equity » et les fonds d’investissement viennent se faire coter en bourse, tel Blackstone qui compte maintenant parmi ses actionnaires, un fonds souverain chinois !

 

LA MUTUALISATION DES RISQUES

 

Dernière situation remarquable : le « saucissonnage » croissant de la chaîne de décision, ainsi que l’a bien montré la crise des « subprimes ». Le risque de crédit porté dans un premier temps par les banques prêteuses , en faveur des ménages américains acquéreurs de leur habitation, a été d’abord transféré à des entités spéciales (« special purpose conduits », SPC ou « structured investment vehicles », SIV), grâce à un processus de titrisation des créances immobilières douteuses, puis à des investisseurs finaux, acheteurs des titres émis par les SPC, les fameux CDOs, et cela grâce à deux autres acteurs du marché : les rehausseurs de crédit, qui ont garanti la qualité des créances et les agences de notation, qui les ont évalué, avec « un certain optimisme ». A tel point, qu’à la fin du voyage, on ne sait plus très bien qui supporte le risque (il est en partie mutualisé), ce qui n’empêche pas les banques d’être victimes d’un retour de « boomerang » dont elles avaient crû être débarrassées (cf. les pertes annoncées récemment).

 

Pour conclure, on souligne les trois tendances  de fond des marchés financiers d’aujourd’hui : l’interdépendance accrue entre les différents compartiments du marché (ce que l’on peut traduire par une plus forte corrélation entre les classes d’actifs) ; la sophistication accélérée des instruments financiers et des stratégies mises en place par les intervenants et, pour terminer, le poids croissant qu’occupe la finance dans l’économie mondiale, non seulement en raison de l’arrivée des pays émergents, mais aussi parce que des enjeux nouveaux (augmentation du nombre de retraités, épuisement des ressources naturelles bon marché, révolution technologique) vont exiger des financements appropriés.

 

 

                                                                                              Bernard MAROIS

                                                                                              Professeur Emeritus à HEC

                                                                                              Président du Club Finance