Dollar, pétrole, Etats-Unis, France : le vent tourne… (E&S n°43)

L’humeur :

Libéral et keynésien.

Depuis le XVIIème siècle et la naissance du capitalisme, les théories économiques n’ont cessé de se développer, se complétant parfois, s’opposant souvent, avec généralement pour but de devenir la théorie dominante. Depuis lors, l’histoire de la pensée économique a ainsi été une succession de périodes de gloire des différentes théories, les unes réfutant les autres et ne pouvant, du moins en apparence, subsister ensemble. Tout a évidemment commencé avec la révolution industrielle du XVIIème siècle, puis l’expansion économique des siècles suivants qui ont imposé la théorie dite classique ou encore libérale, en l’occurrence celle d’Adam Smith, de David Ricardo et de Jean-Baptiste Say. Les principes de base en sont simples : le marché assure l’équilibre général, l’offre créant sa propre demande et l’épargne permettant de financer l’investissement et d’accroître la « richesse des Nations ». Parallèlement, l’augmentation des inégalités et les difficultés de la classe ouvrière de l’époque ont progressivement promu le marxisme au rang de théorie alternative, qui est même devenue dominante à partir de 1917 dans certaines parties du globe, qui ont alors mis entre parenthèse le système capitaliste pendant soixante dix ans. Entre temps, la crise de 1929 est passée par là et a montré que l’équilibre entre l’offre et la demande n’était pas toujours garantie et surtout que l’offre ne créait pas forcément sa propre demande. D’où des situations d’excès d’offre et par là même de déflation, qui rappelons-le, est le pire des maux en économie.

La théorie keynésienne de soutien conjoncturel à la demande, via l’intervention temporaire de l’Etat dans l’économie, va alors gagner ses galons et devenir la théorie de référence dès les années 30 aux Etats-Unis et pendant les trente glorieuses dans l’ensemble de la planète hors bloc communiste. Au contraire des théories classiques, néo-classiques ou encore libérales, la théorie keynésienne met en avant l’importance de la demande, au travers du rôle multiplicateur de l’investissement. Dans ce cadre, si l’offre est supérieure à la demande, la puissance publique doit se substituer temporairement au secteur privé pour relancer l’investissement, ce qui augmentera la croissance, et accroîtra alors les recettes fiscales permettant in fine à l’Etat de financer son plan de relance et de revenir à l’équilibre de ses comptes. Keynes n’a donc jamais été partisan des déficits publics récurrents et a fortiori structurels. Mais, comme toutes les théories, le keynésianisme a aussi ses limites puisqu’il n’est optimal qu’en économie fermée et génère sur le court terme une légère augmentation de l’inflation. Aussi, avec le développement des échanges internationaux mais surtout les chocs pétroliers des années 70-80, la théorie keynésienne et ses recommandations de politiques économiques vont très vite devenir inefficaces.

Le keynésianisme va alors être remplacé par un renouveau de la théorie classique mais surtout par le développement du monétarisme. Selon les tenants de cette nouvelle théorie créée par Milton Friedman, la monnaie n’est qu’un voile et toute relance monétaire et budgétaire est par construction vouée à l’échec. L’inflation culmine alors à plus de 10 % dans la plupart des pays développés et la lutte contre l’inflation devient, à juste titre, la priorité absolue. Mais, à l’instar de ses homologues, la théorie monétariste oublie également que l’économie n’est pas une science exacte, mais une science humaine qui évolue avec le temps et les personnes. Autrement dit, ce qui est vrai à un instant t, ne l’est plus forcément en t+n. Dès lors, toute rigidité devient par construction productrice d’inefficacité. La théorie monétariste qui est certainement l’une des plus rigides qui soit est alors, elle aussi, battue en brèche. D’autant que la révolution des NTIC rappelle le rôle déterminant de l’investissement et confirme que la baisse du chômage peut coexister avec une inflation modérée, notamment grâce aux progrès technologiques et aux gains de productivité qu’ils génèrent. Cette période marque alors la fin de l’hégémonie monétariste mais aussi la fin des monopoles en matière de théorie économique. En effet, depuis une quinzaine d’années, il n’y a plus de théorie dominante. Certes, chacun des trois grands courants (classiques, keynésiens, monétaristes) dispose encore d’adeptes farouches, les plus virulents étant principalement monétaristes et se situent notamment du côté de l’Ecole de Chicago et aussi d’un grand bâtiment au cœur de Francfort appelé BCE. Mais, au-delà de ces irréductibles, il faut souligner qu’aujourd’hui, le pragmatisme a généralement pris le pas sur le dogmatisme théorique et idéologique.

Ainsi, la bonne politique économique doit à la fois intégrer des préoccupations keynésiennes de demande, mais aussi des dimensions structurelles relatives à l’offre selon une logique libérale ou encore la nécessité de limiter l’inflation sous les 4 % ou sous les 2,5 % hors énergie et produits alimentaires comme le soutiennent les monétaristes modernes. Le tout n’ayant finalement qu’un seul but : l’efficacité économique. C’est dans ce cadre que Clinton le keynésien a su réduire la dépense publique et obtenir un excédent public de 1998 à 2000 et qu’à l’inverse, Bush le libéral a engagé à deux reprises une relance keynésienne (en 2001-2002 et en 2008) pour permettre à l’économie américaine de redémarrer. A l’inverse, dans l’Hexagone, les années de croissance forte de 1998-2000 n’ont pas été utilisées pour obtenir un excédent mais pour dilapider une « cagnotte » idéologique en transformant des recettes fiscales conjoncturelles en dépenses publiques structurelles. Quant à l’Allemagne qui a certes réalisé des réformes exceptionnelles sur son appareil productif, elle a malheureusement oublié la demande, contrairement à la politique récente hexagonale qui se focalise sur la demande en oubliant l’offre.

Il ne nous reste donc plus qu’à souhaiter que très vite, tant en France que dans l’ensemble de la zone euro, les dirigeants politiques et monétaires comprennent qu’il est désormais possible, voire indispensable, d’être à la fois libéral et keynésien, de faires des réformes structurelles sur l’offre tout en soutenant la demande et en imposant une règle d’or : l’efficacité et la rationalité économiques doivent toujours primer sur les dogmatismes théoriques et idéologiques. Tant qu’il ne sera pas ainsi, nous resterons engoncés dans la croissance molle et la faiblesse du pouvoir d’achat.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

France : la crise.


Cela commence à devenir lassant, depuis environ trois mois et à l’exception de l’étonnante croissance du premier trimestre, les statistiques françaises se suivent et se ressemblent : tout va de plus en plus mal pour l’économie hexagonale.

Ainsi, alors qu’après déjà huit mois consécutifs de baisse et quatre mois de dépassement de nouveaux planchers historiques, on pouvait espérer une accalmie, tel n’a pas été le cas. Bien au contraire, puisque le moral des ménages a aggravé son plongeon perdant encore trois points sur le seul mois de mai et atteignant par là même un nouveau plus bas historique, à – 41. Par rapport à son niveau de juin dernier, cet indice affiche ainsi une baisse de 28 points. Là aussi, du jamais vu en si peu de temps depuis que cette enquête existe.

A tel point qu’une question surgit : jusqu’où et jusqu’à quand cette baisse va-t-elle durer ? En attendant d’avoir les réponses, l’enquête de mai a vraiment de quoi nous inquiéter. Et pour cause : tous les indicateurs de celle-ci enregistrent une nette dégradation en mai. A commencer par la perception du niveau de vie en France qui perd quatre points en matière d’évolution passée et cinq points sur le front des perspectives. Il en va presque de même des indicateurs de situation financière personnelle qui perdent deux points.

Les ménages n’y croient vraiment plus.

Sources : INSEE

Conséquence logique de ces craintes aigues, l’indicateur d’opportunité de faire des achats importants se dégrade de nouveau et perd encore deux points en mai, soit une chute de 26 points depuis l’été dernier.

Inutile de préciser que dans tous les cas (à l’exception de l’indice relatif à l’évolution passée de la situation financière personnelle), des plus bas historiques sont atteints.

Mais tels n’est pas forcément le plus grave. En effet, si toutes ces dégradations ne sont pas nouvelles et ne font que confirmer le pessimisme croissant des Français, la nouveauté de l’enquête mai réside dans la forte augmentation des perspectives d’augmentation du chômage. Ainsi, si les ménages restaient jusqu’à présent relativement sereins en matière d’emploi, ils commencent aujourd’hui à craindre le pire, l’indicateur de perspectives d’évolution du chômage ayant bondi de 14 points sur le seul mois de mai, soit une hausse de 25 points depuis juillet dernier.

Dans ce cadre, il faut malheureusement être clair : déjà affaiblie depuis six mois et en baisse marquée depuis deux mois, la consommation des ménages va poursuivre son déclin dans les prochains trimestres. Comme d’habitude, les mesures de déblocage de l’épargne salariale permettront d’éviter la catastrophe, mais la fièvre acheteuse ne renaîtra pas de sitôt dans l’Hexagone.

Mais ce n’est pas tout. Car après les plus bas historiques atteints par la confiance des ménages depuis six mois, après la faiblesse de l’emploi au premier trimestre et après la chute de la consommation en produits manufacturés en mars-avril, les industriels français aussi jettent l’éponger.

Les industriels lâchent prise.

Sources : INSEE

En effet, après environ dix mois d’une résistance notable qui pouvait laisser imaginer que le pire serait évité, le climat des affaires dans l’industrie s’est lui aussi effondré, perdant quatre points sur le seul mois de mai et six points au cours des deux derniers mois. Avec un niveau actuel de 102, il se situe ainsi à un plus bas depuis décembre 2005, à une époque où la croissance du PIB français culminait à 1,7 %.

Pis, tous les indicateurs de l’enquête INSEE dans l’industrie ont subi une nette dégradation en mai. A commencer par les perspectives générales de production qui perdent six points en un mois et dix points en avril-mai. A – 15 désormais, elles retrouvent un plancher depuis août 2005. De même, les perspectives personnelles de production chutent de sept points sur le seul mois de mai, atteignant un plus bas depuis l’automne 2005.

Mais les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là. Ainsi, l’indice des carnets de commandes globaux a perdu sept points en mai et affiche une dégringolade de douze points par rapport à mars 2008. Pour retrouver une chute aussi forte en si peu de temps, il faut remonter à l’été 2001…

En outre, habitués à une certaine résistance depuis un an, les carnets de commandes étrangers ont eux aussi fortement souffert en mai, perdant dix points en un seul mois et quatorze points depuis le début 2008. Autrement dit, la vigueur excessive de l’euro et le ralentissement de la croissance mondiale commencent à fortement peser sur l’industrie française.

D’un point de vue sectoriel, il faut également noter qu’à l’exception des biens d’équipement et de l’agro-alimentaire, qui résistent tant bien que mal, tous les pans de l’industrie française subissent une forte décrue en mai. Et ce, en particulier pour le secteur des biens de consommation, dans lequel les perspectives de production chutent de onze points en mai et de quinze points depuis février 2008.

La palme de la déconvenue revient néanmoins à l’industrie automobile dans laquelle les perspectives de production s’effondrent de 55 points sur le seul mois de mai. Du jamais vu depuis 1999.

Enfin, à côté de l’atonie industrielle, de la baisse de la consommation et de la faiblesse de l’activité dans les services (déjà observée depuis la fin 2007), le plongeon de la construction continue de s’aggraver. Ainsi, en avril, la baisse des mises en chantier a passé la vitesse supérieure, atteignant un glissement annuel de – 18,8 %, un plus bas historique. Cela rappelle étrangement l’écroulement récent des mises en chantier aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne qui a automatiquement été suivi du dégonflement de la bulle immobilière. Chacun son tour…

Pour conclure, la bonne surprise du PIB de 2007 et début 2008 est bien de l’histoire ancienne. Il va désormais falloir composer avec une croissance très proche de zéro tant au deuxième qu’au troisième trimestre, et peut-être plus si le baril et l’euro ne baissent pas significativement dans les prochains mois. Bon courage à tous.

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Dollar et pétrole : accalmie ou nouvelle tendance ?


Depuis janvier dernier et en particulier depuis mars, la moindre augmentation de l’inflation dans la zone euro et/ou le moindre discours des dirigeants de la BCE en faveur d’une politique monétaire restrictive n’ont eu de cesse d’apprécier l’euro/dollar et de le propulser vers des sommets historiques.

Dans le même temps, la moindre déclaration malencontreuse de l’OPEP ou de l’AIE ou encore la moindre baisse des stocks de brut aux Etats-Unis ont instantanément fait flamber le baril, là aussi vers des sommets historiques.

Pourtant depuis quelques jours, cette double « mayonnaise » ne prend plus. Ainsi, tant l’euro que le cours du baril ont nettement baissé au cours de la semaine écoulé, allant à contresens des statistiques publiées et des annonces réalisées au cours des derniers jours.

Le baril et l’euro se replient enfin.

En effet, les stocks de bruts américains ont encore plongé cette semaine, se rapprochant de leur « plus bas » pour un mois de mai depuis 2004. Parallèlement, un grand broker américain n’a pas hésité à réviser sa prévision de prix du baril à 150 dollars pour les prochains mois.

Il est clair qu’il y a encore quelques jours, de telles annonces auraient permis au baril de crever de nouveaux plafonds. Pourtant, bien loin de cette triste perspective, le baril a perdu presque dix dollars en une semaine, passant de 135 à 125 dollars pour le WTI et de 133 à 127 pour le brent.


La baisse des stocks de bruts américains n’effraie plus les marchés.

Source : EIA

Sur le front de l’euro/dollar, une évolution tout aussi déroutante vient de se produire. En effet, ces derniers jours ont été marqués par la nouvelle baisse de confiance des ménages américains, mais aussi la nouvelle augmentation de l’inflation eurolandaise, sans oublier les discours alarmistes de Jean-Claude Trichet qui, pour fêter le dixième anniversaire de la BCE, a choisi de fermer à double tour la porte de l’assouplissement monétaire.

Autant d’évolutions qui auraient dû affoler les marchés et relancer l’euro sur de nouveaux sommets. Mais là aussi, bien loin de ce triste scénario, l’euro s’est déprécié puis stabilisé autour des 1,55 dollar.

Si ce niveau est évidemment encore beaucoup trop élevé, il montre néanmoins que la psychologie des marchés est peut-être en train de changer.

L’inflation eurolandaise et Jean-Claude Trichet ne font plus peur aux investisseurs, mais la faible croissance eurolandaise oui.

Sources : Eurostat; Prévisions : ACDEFI

En effet, les marchés commencent aujourd’hui à comprendre que l’inflation eurolandaise est principalement de nature énergétique et par là même spéculative et que la croissance de la zone ne pourra que baisser fortement dans les prochains mois.

Pour les en convaincre, l’indice de sentiment économique s’est stabilisé à 97,1 en mai, soit 2,9 points de moins que son niveau de moyen terme. De même, l’augmentation du chômage allemand en mai (la première depuis janvier 2006), mais aussi la nouvelle chute des ventes au détail, toujours outre-Rhin, en avril (- 1,7 %, après déjà – 2,2  % en mars) confirment que le ralentissement va s’intensifier dans les prochains trimestres. Non seulement en Allemagne, mais aussi en Espagne, en France… bref, dans l’ensemble de la zone euro.

A l’inverse, les marchés commencent également à intégrer que l’économie américaine n’est pas si mal en point que certains le voudraient. Certes, le PIB risque encore de baisser au deuxième trimestre. Néanmoins, la révision haussière de la croissance du premier trimestre (+ 0,9 % contre 0,6 % précédemment) confirme que le scénario de deux trimestres consécutifs de baisse du PIB est très peu probable.

De plus, compte tenu de cette révision de croissance, l’acquis de croissance au sortir du premier trimestre est déjà de 1,2 %. Autrement dit, la prévision de 0,5 % formulée il y a peu par le FMI est de plus en plus fantaisiste,

Et ce d’autant que la résistance des commandes de biens durables en avril confirme que l’investissement des entreprises va rester bien orienté au moins jusqu’à la fin 2008. En effet, en dépit d’un inévitable ralentissement, les commandes de biens d’équipement hors militaire continuent de croître en glissement annuel, indiquant par là même (comme le montre le graphique ci-dessous) que la croissance annuelle de l’investissement en équipements des entreprises devrait se stabiliser autour des 4 %. Pas mal pour une récession…

L’économie américaine continue de surprendre par sa résistance.

Sources : BEA

En outre, la bonne tenue des revenus et de la consommation en avril (en hausse de 0,2 % sur un mois et de 4,8 % en glissement annuel dans les deux cas) indiquent que l’écroulement de la consommation n’aura pas lieu.