Peut-on arrêter le mouvement ? A l’heure où les marchés financiers montrent la toute-puissance de leur dérèglement, où l’ « or noir » n’a jamais aussi bien mérité son nom, où les émeutes alimentaires nous rappellent la précarité de millions d’habitants du Sud…, la mondialisation fait renaître des fougues anti-mondialistes que l’on n’avait guère connues depuis les manifestations contre l’OMC à Seattle – qui font l’objet d’un film actuellement à l’affiche, ironie de l’histoire !
Sous ces auspices troublés, une question revient : et si la mondialisation était irréversible ?
La mondialisation entendue comme un mécanisme qui rend caduques des actions ou des institutions ayant existé auparavant est par définition « irréversible ». Elle impose une rupture avec le passé.
La mondialisation est inévitable. Elle est l’essence même du développement humain. Les échanges et la communication sont des aspirations naturelles des sociétés. Du coup, limiter l’acception du terme à notre monde moderne est une erreur. Les épisodes d’internationalisation – qui est le meilleur synonyme de mondialisation dans ce contexte – ont rythmé l’Histoire.
Au XXIe siècle, ce nouvel élan mondialiste est porté par des évolutions techniques – avec les NTIC -, économiques et institutionnelles – avec l’élaboration d’une gouvernance multilatérale – jusque là jamais vues. Entendue comme l’organisation mondiale de la production, la diffusion des mécanismes de marché, la globalisation financière, l’instantanéité de l’information, le rapprochement culturel… bref la multiplication des interdépendances en tous genres, la mondialisation est un fait qui s’impose aux économies et aux politiques économiques. Et nous en sommes à la fois les spectateurs et les acteurs.
En résumé, le concept de mondialisation est désormais trop bien ancré dans nos habitudes pour croire en sa réversibilité.
Et pourtant. Il faut aussi concevoir la mondialisation comme un processus en cours, une contingence de l’Histoire, un élément modifiable voire réversible. Ici le concept se rapproche du terme « globalisation » – comprendre : l’idée de réunir en un tout.
L’épisode que nous connaissons actuellement a ceci de particulier qu’il voit une intensification et une complexification inédites de l’ouverture économique. Cette mondialisation-là est en phase d’apprentissage. Les bulles monétaires et financières en démontrent les difficultés : la crise des « subprimes » fait partie de ses « ratés ». Et trop de « fiascos » peuvent faire reculer la mondialisation, comme lors de
« Aucune logique économique ne peut s’opposer à la mondialisation, ni lui servir d’alternative. Il n’existe plus d’autre mode de développement : tous ont été engloutis par leurs impasses et leurs propres erreurs. Le marché-roi n’a rien à craindre, le monde lui appartient et chaque jour renforcera son emprise. Mais cette toute-puissance est aussi la source de sa fragilité. La supposer éternelle, c’est admettre qu’aucun spasme stratégique de grande ampleur ne se produira à vue humaine : pari aléatoire… », écrivait Alain Minc dans La mondialisation heureuse, en 1997.
Sur un plan philosophique, l’anti-mondialisme et son frère cadet, l’alter-mondialisme, signifient tout le rejet que le mouvement peut susciter dans l’opinion publique internationale. Pour ses détracteurs, la globalisation fragilise des valeurs pourtant universelles et fait renaître par là même certaines perceptions et représentations collectives comme les nationalismes ou les extrémismes religieux. La mondialisation morcelle paradoxalement le monde qu’elle voulait réunir et élargit le champ des possibles assemblages.
Irrigués par le souvenir de l’Etat Nation, les Etats eux-mêmes sont déboussolés, divisés entre la crainte de perdre davantage de marge de manœuvre et la nécessité pour eux de s’affirmer sur une scène mondiale plus concurrentielle que jamais. Les lieux de souveraineté ne sont plus gravés dans le marbre et la diversification des acteurs oblige une remise en question perpétuelle. N’en déplaise à Alain Minc, la mondialisation n’est pas nécessairement « heureuse ».
Elle est au contraire un facteur d’ordres et de désordres. Dans cette construction, rien n’est figé comme peuvent en témoigner les aléas que traverse le système financier international depuis quelques mois. Et rien n’est fini : la libéralisation des échanges est un processus inachevé et, peut-être, inachevable. Un mouvement qui s’inscrit dans la rupture et dans la continuité.