135 dollars pour un baril en mai 2008. Qui l’eut crû ? Pourtant, telle est la triste réalité à laquelle nous sommes désormais confrontés. Certes, pour les pays producteurs de pétrole pour qui le baril coûte 10 dollars (en Arabie Saoudite), 15 en Mer du Nord, voire 30 dollars dans le grand nord canadien, la tristesse n’est certainement pas au rendez-vous. De même, pour les Etats qui taxent fortement le fuel et l’essence vendus sur leur territoire, l’heure est aussi à l’augmentation des rentrées fiscales. En revanche, pour les consommateurs, qu’ils soient ménages ou entreprises et, plus globalement, pour la croissance mondiale, la pilule est de plus en plus difficile à avaler.
En effet, si jusqu’à présent, la croissance de la planète a pu absorber les différents chocs pétroliers qui se sont succédé depuis 2000, la facture est désormais particulièrement lourde. Et pour cause : à chaque fois que le baril augmente de 10 dollars en moyenne sur une année, la croissance mondiale, mais aussi celle des pays développés, perd 0,4 point. Or, depuis 2000, les augmentations annuelles de l’or noir ont très rarement dépassées les 10 dollars. De 18 dollars en 1999, le cours annuel moyen du brent est ainsi passé à 28 dollars en 2000, puis après une stabilisation entre 24 et 28 dollars de 2001 à 2003, ce niveau moyen du baril a atteint 38 dollars en 2004, puis 54 en 2005, 65 en 2006, et enfin 72 en 2007. Mais pour 2008, la donne est complètement différente puisque, de janvier à aujourd’hui, le cours moyen du brent atteint 105 dollars.
Autrement dit, si jusqu’à présent, la croissance mondiale a pu digérer sans trop d’encombre l’augmentation progressive des cours de l’or noir, il est clair que les coûts de la récente flambée seront beaucoup plus forts qu’au cours des années précédentes. Non seulement parce qu’à ses niveaux actuels, le prix du baril devient vraiment prohibitif en termes de consommation. Mais aussi, parce que son augmentation n’a jamais aussi forte.
Ainsi, en faisant l’hypothèse, peut-être optimiste d’ailleurs, que la moyenne du cours du baril ne dépassera pas les 105 dollars cette année, la croissance mondiale sera directement amputée d’environ 1,3 point cette année. Cela signifie donc qu’elle pourrait passer sous les 4 %, à environ 3,5 %, un plus bas depuis 2003. Quant à la croissance française, elle pourrait repasser sous les 1,5 % très rapidement.
Dans ces conditions, il est d’ores et déjà clair que l’augmentation des cours du baril est plus qu’excessif, c’est-à-dire absolument hors norme au regard du ralentissement qui est en train de se dessiner. Pis, si certains imaginent encore que la demande de pétrole est actuellement trop forte par rapport à l’offre, les chiffres officiels de l’IAE montre complètement le contraire. Autrement dit, il existe actuellement un excès d’offre sur les marchés pétroliers internationaux. Il n’y a donc pas de doute : la flambée actuelle des prix du pétrole relève de la bulle spéculative.
Or, l’histoire des bulles nous a appris que c’est toujours lorsque ces dernières touchent à leur fin qu’elles deviennent les plus extravagantes. Dans ce cadre, à l’image du Cac à 6950 points en septembre 2000, des niveaux pléthoriques atteints par les prix immobiliers aux Etats-Unis fin 2006 ou encore du niveau du dollar en 1981 (au plus bas) ou en 1985 (au plus haut), le baril à 130 dollars reste selon nous un indicateur avancé de la baisse future des cours de l’or noir.
Dans dix ans ou cinquante ans, lorsqu’il n’y aura plus de pétrole, au dire de certains, il s’agira d’une autre paire de manches. Mais pour le moment, le prix du baril n’a pas de sens économique et doit donc logiquement se replier dans les prochains mois, au moins vers les 100 dollars.
C’est d’ailleurs certainement parce qu’ils sont conscients de cette sur-évaluation et par là même de ce risque de correction, les pays producteurs de pétrole refusent toujours d’augmenter leur quota de barils quotidiens. On ne peut d’ailleurs finalement pas les en blâmer : ils vivent déjà très bien comme ça et il n’y a absolument pas de pénurie de pétrole dans le monde. Nous n’avons donc d’autres choix que de patienter.
Marc Touati