France, Euroland, Chine : le match de la croissance… (E&S n°41)

L’humeur :

Une croissance mystérieuse.

Il faut le reconnaître, nous n’avions pas anticipé que la croissance du PIB français atteindrait 0,6 % au premier trimestre 2008. Notre prévision d’une augmentation de seulement 0,3 % n’a donc pas été validée. Et le fait que le consensus prévoyait également une croissance faible à 0,4 % n’est évidemment pas suffisant pour nous réconforter. En fait, face à ce décalage, deux types de comportement sont possibles. Soit celui du profil bas et du retournement de veste, via une révision fortement haussière de notre prévision de croissance pour 2008 ; soit celui de la franchise qui nous impose de souligner que les comptes nationaux du premier trimestre nous paraissent mystérieux et nous amènent à appeler à la prudence : Non ! Madame Lagarde, ne criez pas victoire trop vite.

Certes, à l’instar de la mauvaise fois de certains prévisionnistes qui, n’ayant pas anticipé la résistance de la croissance américaine au cours des derniers trimestres, ont annoncé que les chiffres étaient faux, nous pourrions également apparaître mauvais perdants.

Pourtant, tel n’est pas notre cas. En effet, nous n’avons d’autres choix que d’accepter les chiffres de l’INSEE et de les considérer comme vrais. Néanmoins, il est également de notre devoir de souligner certaines anomalies dans les comptes nationaux français du premier trimestre.

Tout d’abord, la progression du PIB de 0,6 % dénote avec l’augmentation de seulement 0,3 % de la production industrielle sur la même période. Certes, l’industrie ne représente qu’environ 20 % du PIB français mais son évolution est généralement proche de celle du PIB.

En outre, l’indice d’activité de l’enquête INSEE dans les services s’est effondré au premier trimestre. Or, les services représentant environ 70 % du PIB, cette déconvenue aurait dû transparaître dans les chiffres de croissance, ce qui n’a pas été le cas. Autrement dit, ni l’activité dans les services, ni celle dans l’industrie ne semblent correspondre à la « réalité » décrite par le PIB.

Mais ce n’est pas tout. Car, la contribution positive du commerce extérieur à la croissance tranche également avec la quasi-stabilisation du déficit extérieur sur des sommets historiques. Ainsi, selon les comptes nationaux, la balance commerciale a apporté 0,3 point à la croissance au premier trimestre, mais selon les chiffres des douanes, le déficit de cette même balance commerciale a atteint 11,025 milliards d’euros sur la même période, contre 11,631 milliards au quatrième trimestre 2008.

Et même si l’on sait que le commerce extérieur est mesuré en volume dans le premier cas alors que le déficit extérieur affichée par les douanes est en valeur, un tel écart demeure surprenant. Et ce d’autant que la hausse de l’euro sur la même période a plutôt eu tendance à augmenter la valeur des exportations et à réduire la valeur des importations. Autrement dit, la contribution du commerce extérieur en volume (c’est-à-dire hors effet change) aurait due être négative.

Enfin, quatrième bizarrerie, l’augmentation de 0,6 % du PIB dénote avec la progression de 0,2 % de l’emploi salarié au cours de la même période. Ce dernier enregistre d’ailleurs sa plus faible progression depuis le quatrième trimestre 2006. Après avoir atteint 1,9 % fin 2007, son glissement annuel retombe ainsi à 1,5 %.

Or, si la valeur du PIB reste un calcul statistique complexe et par là même sujet à caution, les créations d’emploi sont généralement beaucoup plus fiables. En outre, si la croissance du PIB a vraiment été de 0,6 % au premier trimestre et que celle de l’emploi n’atteint que 0,2 % sur la même période, cela signifie soit que la productivité a été exceptionnellement forte au premier trimestre, soit que la croissance du début 2008 sera révisée en baisse.

Autrement dit, la faible progression de l’emploi confirme que tout excès d’optimisme sur la croissance française serait déplacé. Et pour cause : si avec une croissance relativement appréciable, l’emploi est moribond, que va-t-il devenir lorsque la croissance va nettement se replier, et ce dès le deuxième trimestre ?

Par ailleurs, il faut noter que l’emploi continue de pâtir d’une nette dégradation dans l’industrie (- 0,4 %). Il ne doit donc sa résistance qu’à la bonne tenue de l’emploi dans la construction (+ 0,8 %) et dans les services (+ 0,4 %). Et encore, il faut noter que, dans ce dernier secteur, le ralentissement commence à s’installer.

Dans ce cadre, lorsque la décélération de l’activité sera plus franche, l’emploi pourrait retrouver une croissance zéro, voire même reculer sur un ou deux trimestres. Cela pèsera évidemment à la baisse sur le pouvoir d’achat, donc sur la consommation qui a déjà particulièrement souffert au cours du premier trimestre.

Voilà pourquoi nous sommes malheureusement contraints de maintenir notre scénario d’une croissance molle, c’est-à-dire inférieure à 1,8 % cette année et d’un taux de chômage qui continuera d’augmenter au cours des prochains trimestres. Après la magie des comptes nationaux du premier trimestre, il faudra donc bien redescendre sur terre…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Croissance eurolandaise : un dernier baroud d’honneur.

Les commentaires rassurants de Jean Claude Trichet sur la croissance de la zone euro reposaient donc sur ça : la première estimation du PIB de la zone euro pour le 1er trimestre 2008 est ressortie au-dessus des attentes et en accélération par rapport au quatrième trimestre 2007. Avec une hausse de 0.7 %, la croissance trimestrielle ressort au niveau de celle du troisième trimestre 2007, après avoir ralentit à 0.4 % au quatrième trimestre.

Ce rebond de la croissance est essentiellement dû à la très forte progression du PIB allemand : celui-ci enregistre effectivement sa plus forte hausse trimestrielle en douze ans, progressant de 1.5 % après la hausse de 0.3 % enregistrée au quatrième trimestre 2007. Cette forte accélération, si elle n’est évidemment pas appelée à se prolonger au cours des trois autres trimestres de 2008, confirme la bonne résistance de l’économie allemande au premier trimestre, résistance également caractérisée par un indice IFO qui était resté très haut jusqu’en mars … avant de fortement reculer en avril. Une telle progression s’est également certainement appuyée sur une variation favorable du niveau des stocks et une contribution positive du commerce extérieur, même si nous ne connaîtrons le détail des composantes du PIB que lors de la deuxième estimation, le 27 mai prochain.

Moins impressionnante mais néanmoins surprenante, la bonne performance de l’économie française, qui a enregistré une croissance de 0.6 % après +0.3 % au quatrième trimestre a également contribué à cette croissance de 0.7 % de la zone euro.

France : une croissance vraiment mystérieuse.

La poursuite de la progression de l’investissement des entreprises (en hausse de 1.8 % au premier trimestre après +1.2 % au quatrième trimestre 2007) en a été le moteur, prenant le relais d’une consommation affaiblie, qui n’a progressé que de 0.1 % après +0.6 % au quatrième trimestre. Ainsi, compte tenu de sa variation du premier trimestre, le PIB français dispose d’un acquis de croissance de 1,36 % à la fin du premier trimestre.

Toutefois, après ce bon premier trimestre, il semble qu’il faille s’attendre à des résultats beaucoup moins favorables pour le restant de 2008. C’est en tout cas ce qu’indiquent, pour la France, les dernières enquêtes de l’INSEE auprès des ménages, mais aussi des chefs d’entreprise tant dans l’industrie que dans les services.

Pour l’Allemagne, le net repli de l’IFO en avril, qui devrait se confirmer en mai, présage également d’un ralentissement. Enfin, l’indice de confiance dans l’économie pour la zone euro permet d’anticiper un net fléchissement de la croissance de la zone d’ici à la fin 2008, sous les 1,5 %.

Le premier trimestre ne change rien : la croissance de la zone euro file vers 1,2 % pour l’automne 2008.

Autrement dit, en dépit de ce début d’année solide, il faut s’attendre à une année 2008 globalement morose, avec une croissance d’au mieux 1,7 % pour l’économie française.

Cette piètre performance aura trois conséquences majeures. Primo, l’emploi devrait nettement décélérer et le chômage rester sur une tendance légèrement haussière. Secundo, le pouvoir d’achat devrait se dégrader de nouveau. Tertio, le déficit public devrait atteindre sans difficulté les 3 % du PIB dès cette année.

Autant d’évolutions qui pèseront sur le moral des ménages, le climat des affaires dans l’industrie et les services mais aussi sur la crédibilité de la France sur la scène internationale.

Autrement dit, compte tenu de ces résultats bien peu reluisants, la reprise est loin d’être acquise pour 2009.

En fait, il nous faudra attendre la baisse du taux refi de la BCE, le repli de l’euro vers des niveaux plus normaux et le reflux des cours du baril pour espérer une reprise qui se produira environ neuf mois après que ces trois évolutions aient eu lieu. Ces trois évolutions étant directement liées, elles se réaliseront quasiment en même temps et ne permettront un retour de la croissance de la zone euro au-dessus de 2 %… que pour 2010. Mieux vaut tard que jamais.

Marc Touati et Adrien Pichoud



Et les marchés dans tout ça ?

Chine : la hausse du yuan va se poursuivre.


Rien n’arrête l’économie chinoise. Ni le ralentissement de la croissance aux Etats-Unis et dans les pays développés, ni la flambée des prix des matières premières et des prix de l’énergie, ni même le dramatique séisme qui a frappé le Sichuan ne vont empêcher la Chine de rester (et de loin !) le principal contributeur à la croissance mondiale. En effet, avec une croissance 9.3 % attendue par le FMI en 2008 (et 9.5 % en 2009), soit une contribution de 1.6 point de pourcentage à la croissance mondiale (attendue à 3.7 % en 2008 par le FMI), l’économie chinoise fait preuve d’une résistance remarquable qui, nouveauté, semble désormais reposer autant sur une forte dynamique interne que sur les exportations.

En effet, si le moteur des exportations reste une composante essentielle de la croissance de l’économie, avec un excédent annuel supérieur à $250 mds depuis septembre dernier, qui alimente une progression toujours très soutenue de l’investissement, les dernières statistiques publiées font également état d’une consommation de plus en plus vigoureuse. La croissance des ventes au détail a ainsi, en avril, accéléré à +22.0 % en glissement annuel, le plus fort rythme de hausse jamais enregistré en Chine.

La vigueur de la demande domestique tire les prix

Source : Bureau National de Statistiques

Le revers de la médaille de l’expansion de la demande domestique consécutive à la croissance du revenu moyen des travailleurs chinois réside dans la flambée des prix qui en résulte. Si, au niveau international, l’impact de la croissance chinoise se retrouve essentiellement sur les prix du pétrole et des matières premières telles que l’acier ou les métaux précieux, sur le plan domestique, la hausse de la consommation entraîne une flambée des prix de l’alimentation qui a poussé le taux au-delà de 8 % depuis février dernier. Ainsi, les prix de la viande et des graisses végétales ou animales sont en hausse de près de 50 % au cours des douze derniers mois, pour une inflation des prix alimentaires dans leur ensemble supérieure à 20 % depuis trois mois. Notons tout de même que l’inflation hors prix de l’alimentation reste contenue (+1.8 % en avril).

Cette poursuite d’une croissance forte, de plus en plus adossée à une demande domestique endogène qui génère des tensions inflationnistes, oblige les autorités monétaires chinoises à poursuivre sur la voie de la normalisation des conditions monétaires et de change, afin de tenter de contrôler la dynamique de l’économie.

Depuis 2005, des efforts déjà importants ont été accompli en ce sens et leur mise en place progressive a sans doute permis de renforcer la croissance de l’économie plutôt que de la mettre en péril. Ainsi, le yuan, qui est officiellement flottant depuis juillet 2005 mais dont l’évolution est, dans les faits, étroitement contrôlée par les autorités chinoises, a été apprécié de 15 % depuis l’abandon du peg avec le dollar (le lecteur se souviendra qu’à l’époque, la sous-évaluation de la devise chinoise par rapport au dollar était estimée à 15 / 20 %).

Par ailleurs, afin de tenter d’enrayer la croissance débridée du crédit, le taux de réserves obligatoires pour les banques commerciales a été plus que doublé depuis le milieu de l’année 2006 (il a été remonté pour la 4ème fois de l’année le 12 mai, à 16.5 %).

Les autorités tentent de contenir la croissance

Source : Bloomberg, PBoC

Autre levier des autorités monétaires afin de contrôler la croissance, le niveau du taux des prêts à un an a lui aussi été sensiblement remonté depuis 2006, tout comme celui des dépôts, afin non seulement de tempérer la demande de crédit mais également d’enrayer la fuite de l’épargne vers les marchés boursiers, seuls à même, jusqu’à l’automne dernier, d’offrir une rémunération réelle positive. L’explosion de la bulle spéculative des marchés de Shanghai et Shenzen (avec une baisse de 50 % en six mois à Shanghai !), causée à la fois par la hausse de l’aversion au risque des investisseurs mondiaux après la crise des subprime et par la remontée des taux d’intérêt et du taux des réserves obligatoires, a mis provisoirement un terme à cette inquiétude, au point que les autorités ont même dû prendre des mesure de soutien aux marchés financiers afin d’éviter l’effondrement des indices (baisse de la taxe sur les transactions le 24 avril).

Les Bourses chinoises ont sévèrement corrigé

Source : Bloomberg, PBoC

Toutefois, la problématique de fond du gouvernement chinois et de la People’s Bank of China reste la même : la politique de normalisation du taux de change, de remonté des taux d’intérêt et du ration des réserves obligatoires des banques commerciales doit être poursuivie afin d’accompagner une croissance qui est à la limite de la surchauffe depuis maintenant plusieurs années. Ainsi, le yuan va continuer à s’apprécier contre le dollar : en effet, s’il a plus ou moins comblé la sous-évaluation qui était la sienne contre le billet vert lors de l’abandon du peg, en juillet 2005, il n’en reste pas moins que, sur la même période, le dollar s’est, quant à lui, déprécié d’un peu plus de 15 % contre l’ensemble des devises mondiales (dollar trade weighed). Ainsi, on peut estimer que la marge d’appréciation de la devise chinoise contre le dollar est encore de 15 %, ce qui la ramènera autour du niveau de 6.00 USD/CNY (contre un peu moins de 7.00 USD/CNY aujourd’hui).

De même, il semble probable que la tendance haussière sur les taux d’intérêt sera amenée à se poursuivre, tout comme le relèvement du ratio des réserves obligatoires, toujours avec comme objectif une croissance maîtrisée et « raisonnable » du crédit en Chine afin de créer les conditions d’une croissance économique stable et pérenne autour de 10 % pour les années à venir, essentielle afin de maintenir le fragile équilibre social entre des régions urbaines riches et en pleine croissance et des zones rurales pauvres, réservoirs de main d’œuvre à bas coût.

Ce durcissement des conditions de crédit et de change continuera à alimenter la volatilité des places boursières chinoises et devrait empêcher la formation d’une nouvelle bulle spéculative.

 

Adrien Pichoud