Mondialisation : Alerte au tsunami.

Jusque là ils émergeaient. Ils vont peut-être nous submerger. La montée en puissance de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie (les fameux « BRIC ») et des pays producteurs de pétrole n’a de cesse de s’affirmer alors que l’économie mondiale dérape, que les travers de la finance hérissent, que les cours de l’or noir s’envolent au-delà des 120 dollars et que la flambée des prix alimentaires fait craindre un désastre humain. La vague pourrait même prendre des allures de tsunami.

 

Impossible de ne pas voir l’avancée du « rouleau compresseur » chinois. En pleine tempête financière, Pékin se vante d’une croissance à deux chiffres. Mieux, les précieuses réserves de son fonds souverain ont perfusé Morgan Stanley qui était au plus mal – après une entrée remarquée dans une autre institution américaine, Blackstone, en septembre dernier. Mais la médaille a son revers : la diversification des investissements des pays émergents, jusque-là concentrés sur l’achat de bons du Trésor américain, est l’une des causes de la chute du billet vert. Qui risque de peser sur les exportations chinoises.

Pékin a tout de même peu à s’inquiéter d’une baisse de la consommation dans les pays occidentaux, troublés par la hausse de l’inflation et où la conservation du pouvoir d’achat est devenue LA priorité des priorités. Au contraire, les produits « Made in China » pourraient davantage séduire des consommateurs qui ont les yeux rivés sur leur porte-monnaie, n’en déplaise à toute tentative de boycott en ces temps pré-olympiques.

La machine à exporter chinoise n’est pas prête de fléchir la cadence L’« usine du monde » a pris en 2004 la place de troisième exportateur mondial jusque là détenue par le Japon, arrivant derrière les Etats-Unis et l’Allemagne. Elle bénéficie pour cela d’un sérieux atout : la sous-évaluation du yuan.

Occidentalisation des modes de vie oblige, la Chine importe aussi. Ses besoins sont énormes : en matières premières – métaux, caoutchouc… – pour alimenter un secteur manufacturier qui tourne à plein régime et pollue tout autant ; en produits agricoles pour nourrir une démographie galopante qui développe de nouvelles habitudes de consommation ; en biens de luxe occidentaux pour satisfaire une clientèle dont le niveau de vie ne cesse d’augmenter.

Jusqu’à présent, la Chine avait envahi nos linéaires et rempli nos imaginaires. Désormais, elle place ses pions en amont du process économique, là où se trouvent des ressources bon marché : l’Afrique. L’industrie chinoise achetait déjà du pétrole à l’Angola ; du cuivre et du cobalt en République Démocratique du Congo, en Zambie ; du platine et du minerai de fer en Afrique du Sud ; du bois au Cameroun et au Gabon ; du coton au Burkina Faso, au Mali et au Bénin…

Désormais, le pays se passe d’intermédiaires. Il achète des terres africaines – les meilleures disponibles – et y emploie de la main d’œuvre souvent chinoise, parfois locale ; il exploite mines et carrières ; il investit dans des projets pétroliers et gaziers majeurs situés sur tout le continent…

En échange de cet approvisionnement « low cost » et régulier et des faveurs qui lui sont faites, la Chine signe quelques chèques d’aide publique au développement et offre sa bénédiction aux gouvernements africains, mêmes les plus critiquables.

Enfin, en passant, elle en profite pour envahir les étals des marchés africains avides de gadgets : le « Made in China » trône dans les souks et les boubous. La « désinisation » n’est pas prête d’avoir lieu.

Un réalisme que Mao Ze dung, le fondateur de la Chine moderne, exprimait ainsi : « il importe peu de savoir la couleur du chat. Pourvu qu’il attrape des souris ».

 

Il eut été tout aussi probant de servir l’exemple du Brésil, l’eldorado latino, de la pieuvre russe qui étend ses tentacules dans les secteurs énergétiques ou encore de l’Inde des magnats capitaines d’industrie. Autant d’illustrations du nouvel équilibre économique qui est en train de s’instaurer.

Si les esprits occidentaux pensent encore en termes d’ « émergence » et de « pays en développement », force est de constater que ces nouvelles puissances sont bel et bien là et ont soif de prospérité. L’heure de la Triade telle que nous la connaissions au XXe siècle est peut-être révolue. Economiquement, politiquement – en participant plus activement à la régulation de l’économie au sein des institutions internationales où ils revendiquent une équité de traitement et de parole -, ces Etats ne se voient plus en « suiveurs » mais en véritables moteurs de la mondialisation d’aujourd’hui et de demain. Plus que jamais, la dynamique de la globalisation créé un monde multipolaire maillé d’interdépendances complexes.

 

Alexandra Voinchet