Les rouages de la « crise alimentaire ».

Une nouvelle expression pathétique a fait son apparition dans les médias, sur fond d’images de ventres vides et de porte-monnaie dépourvus : la « crise alimentaire » frappe la planète. Deux mots qui traduisent le déchirement de la mondialisation. Ses arrangements, ses contradictions, ses séquelles.

Quid des raisons de cette « crise » ?

Sur un plan purement réel – dans le sens de l’ « économie réelle » -, il s’agit d’un « simple » mais malheureux problème de rareté d’une ressource. Et qui dit rareté dit souvent élévation des prix. Et le paradoxe est là : l’offre chute alors que la demande explose.

Les superficies agricoles destinées à l’alimentation humaine diminuent involontairement – urbanisation, désertification, phénomènes climatiques qui impactent les récoltes… – et volontairement – disparition de la population agricole dans les pays industrialisés, remplacement des cultures vivrières par des cultures destinées à l’alimentation du bétail et à la filière biocarburants, très à la mode, hausse des coûts de l’énergie et des engrais qui handicapent les producteurs… Et la modernisation de l’agriculture – OGM et autres engrais censés offrir un meilleur rendement – ne suffisent parfois pas à reconstituer les stocks.

Face à cette offre finie, la demande est croissante pour cause de pression démographique et de changements des habitudes alimentaires, dans la lignée de l’élévation du pouvoir d’achat notamment dans les pays émergents tels que la Chine.

Deuxième facteur qui contribue à la flambée des prix alimentaires : un problème d’allocation de ces ressources limitées. Cette question tient à la fois à des considérations naturelles, culturelles, économiques et politiques. En un mot : les biens agricoles ne vont pas aux populations qui en ont le plus besoin. Entre inflation galopante et rupture de stocks, les « émeutes de la faim » se légitiment sans trop de mal et ont eu pour conséquence immédiate d’alerter la communauté internationale sur cet enjeu mondial, cette question de vie ou de mort. Les initiatives se sont multipliées de la part des organisme onusiens et de la Banque Mondiale – que l’on attendait au tournant -, ou de grands pays comme les Etats-Unis ou l’Union Européenne. Et de plus petits également. L’Ukraine, le fameux « grenier à grain » de l’URSS, a levé ses restrictions sur l’exportation de céréales. Un geste tout à son honneur et bon à prendre quand on sait que, lors de la dernière campagne (juillet 2006 – juin 2007), le pays a exporté 9,6 millions de tonnes de céréales.

Last but not least, cette inflation des matières premières agricoles a été alimentée par un puissant phénomène de spéculation à l’instar de ce qui s’est fait sur le pétrole, l’or et autre métaux. Depuis la crise des « subprimes », les biens tangibles, comme les matières premières agricoles, sont devenus des « valeurs refuge » alors que les marchés actions étaient boudés et que le dollar perdait son attrait. Riz, cacao, sucre … les « commodities », cette classe d’actifs plébiscitée par les investisseurs, ont affiché des parcours boursiers enviables pour la période et ont atteint des plus hauts historiques. Un mouvement de spéculation dé-corrélé des fondamentaux et qui a contribué à faire grimper les prix – une moyenne de 55 % de hausse depuis juin dernier, selon les calculs du PAM – et, in fine, à faire naître cette « bulle ».

Les choses évoluent. Les cours des « commodities » pourraient se calmer alors que la Bourse se reprend. Les premier pansements des organismes mondiaux devraient calmer les appétits. Les biocarburants, épinglés, ont vu leur renommée sérieusement écornée par la crise. La prise de conscience est mondiale.

L’explosion de la machine « titrisation » censée disperser les risques entre les opérateurs de tous les continents, la crise financière qui en a découlée, la tourmente des investisseurs qui se sont réfugiés dans les matières premières, un secteur agricole particulièrement mis à mal par des enjeux économico-politiques qui le dépassent… la mondialisation a révélé là, de manière fracassante, ses multiples failles. Une fois de plus, la globalisation n’est pas un chemin linéaire mais un parcours semé d’embûches où les leçons sont parfois douloureuses à apprendre.

Alexandra Voinchet