FMI, Chine, USA, France : tout feu tout flamme… (E&S n°37)

L’humeur :

La Chine, tout feu tout flamme…

Alors que la flamme des jeux olympiques de Pékin passe de pays en pays et de fiasco en fiasco, la Chine, imperturbable, continue son bonhomme de chemin, défiant les règles usuelles de l’économie, de la finance et de la géopolitique. Ainsi, alors que l’ensemble des pays développés connaissent un ralentissement économique marqué, la Chine continue de croître à des rythmes supérieurs à 10 % en dépit du souhait de ses propres dirigeants de calmer la machine. En d’autres termes, alors que les pays occidentaux cherchent par tous les moyens à doper les chiffres de croissance, la Chine essaie de les limiter, en vain.

Plus globalement, il faut d’ailleurs souligner qu’au-delà de la Chine, cette déconnexion d’avec la croissance du monde développé concerne l’ensemble des pays dits émergents. Si bien qu’au total, ces derniers ont réalisé 60 % de la croissance mondiale en 2006, 65 % en 2007 et certainement 68 % cette année. En fait, si ce découplage est une première pour le monde émergent dans sa globalité, il n’est pas nouveau pour l’économie chinoise. Ainsi, que ce soit lors de la récession américaine de 1991, de la crise asiatique de 1998 ou encore de la baisse d’activité de 2001 aux Etats-Unis, la Chine n’a quasiment rien senti, continuant de croître sur des rythmes de 9 % à 12 %.

Le secret de cette vitalité est finalement assez simple : au-delà d’un effet traditionnel de rattrapage propre à tous les pays émergents, la Chine bénéficie de ce qui fait normalement tant défaut à ces derniers, à savoir une épargne forte. En effet, l’épargne est généralement ce qui reste du revenu lorsque les besoins de consommation ont été satisfaits. Or, dans un pays peu développé, le revenu est souvent faible et par là même utilisé dans sa quasi-totalité pour la consommation. Dès lors, l’épargne est réduite à peau de chagrin alors que les besoins d’investissement sont énormes dans ces pays. Aussi, pour résoudre cette équation, les pays émergents sont obligés de faire appel à l’épargne étrangère pour financer leurs investissements. Malheureusement, cette épargne est très volatile et peut repartir très vite en cas de craintes économique, financière ou sociale sur ces pays. D’où la récurrence des crises dans les pays émergents.

A l’inverse, grâce à une épargne d’environ 40 % de son PIB, la Chine peut continuer de croître et d’investir massivement (l’investissement représente d’ailleurs près de 45 % du PIB) indépendamment de la situation économique des pays développés. De même, dans la mesure où l’investissement constitue le premier moteur de la croissance chinoise, largement devant les exportations, le ralentissement de la croissance mondiale n’a qu’un impact limité sur l’Empire du milieu. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le yuan a encore atteint un niveau historique cette semaine à 6,99 yuans pour un dollar (contre 7,70 il y a un an). Mieux, la Chine a compris depuis déjà plusieurs années que, pour rester au sommet, elle devait multiplier ses efforts de Recherche-Développement, qui atteignent désormais près de 7 % de son PIB. Elle est par exemple devenue le leader mondial en R&D dans les énergies renouvelables.

Mais la force de la Chine ne s’arrête pas là. En effet, sa puissance économique lui a également conféré une puissance financière sans précédent. Les réserves de changes chinoises atteignent ainsi aujourd’hui près de 1650 milliards de dollars et augmentent chaque mois d’environ 50 milliards de dollars. A cela, il faut évidemment ajouter les fonds souverains de la Chine, mais aussi les fonds privés liés à l’éclosion de nombreuses richesses personnelles. S’il y a huit ans, le nombre de milliardaires résidant en Chine était de 0, on en recensait 20 en 2007 et 42 aujourd’hui. Au total, le montant global de ces fonds publics et privés atteindrait environ 500 milliards de dollars.

Autrement dit, la Chine est en train de devenir une puissance incontournable à au moins quatre titres. 1. Elle constitue une terre de croissance forte et par là même un marché exceptionnel pour les entreprises internationales. 2. Grâce à un coup de la main-d’œuvre toujours très bas, en dépit d’une salutaire augmentation, elle reste une terre d’accueil privilégiée des investissements étrangers. 3. En misant massivement sur l’investissement productif et sur l’innovation, elle s’assure une prééminence internationale pour au moins les dix prochaines années. 4. Grâce à une puissance financière de plus en plus importante, elle est désormais protégée contre toute crise interne durable et surtout dispose des moyens suffisants pour diriger entièrement ou partiellement de plus en plus d’entreprises étrangères. Dans ce cadre global, c’est-à-dire à l’échelle géographique et temporelle de la Chine, les Jeux Olympiques de Pékin sont presque un événement anodin. D’un point de vue économique et même pour la seule année 2008, leur impact sera d’ailleurs très relatif, dans la mesure où il se produira essentiellement sur la région pékinoise, tandis que l’essentiel de la Chine, JO ou pas, continuera impassiblement sur le chemin de la croissance forte.

Et la démocratie dans tout ça ? Ce n’est évidemment pas à nous de répondre à la question. Nous pouvons simplement dire qu’elle constitue actuellement la véritable carence de la Chine. Pourtant, l’Histoire nous l’a appris : la démocratie s’obtient soit grâce à la croissance dans la douceur, soit à cause de la crise économique dans la douleur. Pour l’instant, les Chinois nous promettent qu’ils se dirigeront vers la première solution. Il est vrai qu’il y a huit ans, on recensait 100 millions de Chinois vivant correctement selon des standards occidentaux. Ils sont aujourd’hui 350 millions. En huit ans, ils ont donc réussi à faire ce que l’Europe a mis un siècle à réaliser au prix de nombreuses crises, guerres et sacrifices. En étant le plus objectif possible, il faut également reconnaître que la démocratie ne se décrète pas, elle s’obtient en fonction des évolutions historiques, culturelles et sociologiques de chaque pays. Espérons donc qu’après ses prouesses économiques et financières, la Chine en fera autant sur le front démocratique dans les prochaines années. L’espoir fait vivre…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

France : l’industrie résiste mais pour combien de temps ?


Dans un contexte où les bonnes nouvelles sont rares, l’augmentation, certes timide, de la production industrielle française en février mérite d’être mise en exergue.

En effet, après avoir progressé de 0,6 % en janvier, cet agrégat a encore augmenté de 0,3 % en février. Si la forte hausse n’est donc toujours pas au rendez-vous, cela permet néanmoins à la production industrielle de disposer d’un acquis de croissance de 0,6 % pour le premier trimestre.

Mieux, cette résilience de l’activité industrielle s’obtient notamment par la bonne tenue de la production de biens d’équipement qui augmente de 1,3 % sur le seul mois de février et de 5,3 % sur un an. Autrement dit, l’investissement des entreprises et/ou les exportations de biens d’équipement semblent résister.

Pour autant, les bonnes nouvelles s’arrêtent là. En effet, l’augmentation de la production de biens d’équipement doit être relativisée par la forte baisse des perspectives de production en mars dans ce même secteur (selon l’enquête INSEE dans l’industrie).

De plus, après deux mois de net rebond, la production du secteur automobile rechute de 1,9 % en février. Si, grâce à un effet de base favorable, son glissement annuel reste élevé (à 4,3 % en février), la baisse des indicateurs d’activité dans ce secteur selon les dernières enquêtes INSEE dans l’industrie indique que le mouvement de repli ne fait que commencer.

En outre et surtout, cette baisse de régime est également flagrante en matière de production de biens de consommation. Après déjà six mois de forte volatilité et d’évolution plutôt baissière, cette dernière n’a ainsi progressé que de 0,2 % en février, atteignant un glissement annuel de – 1,2 %. Autrement dit, si la consommation nationale a continué de résister jusqu’à présent, cela a majoritairement profité aux produits importés et donc peu à l’activité et à l’emploi en France.

Attention aux lendemains qui déchantent…

Source : INSEE

Pis, à présent que les ménages français n’ont plus les moyens de s’endetter davantage et que les banques deviennent plus parcimonieuses dans l’octroi de crédit, la consommation va perdre son principal moteur, en l’occurrence l’augmentation de l’endettement.

Dès lors, la morosité de la production de biens de consommation ne vient que confirmer que la consommation française est bien en train de décélérer, ce qui amputera évidemment l’activité industrielle à venir, mais aussi la croissance dans son ensemble.

Et ce d’autant que l’appréciation excessive de l’euro et le ralentissement de la croissance mondiale joueront aussi à la baisse sur la production industrielle hexagonale.

Dans ce cadre, la production industrielle devrait rester molle en mars et ce, au moins jusqu’à l’automne. De quoi confirmer notre estimation de croissance du PIB de 0,3 % au premier trimestre 2008 et de 1,4 % sur l’ensemble de cette année. Attention donc aux lendemains qui déchantent…

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Le FMI nous fait peur…

 


Le Fonds Monétaire International a publié cette semaine la mise à jour de ses perspectives de croissance mondiale. Par rapport aux précédentes estimations rendues publiques en janvier dernier, celles-ci intègrent une sensible détérioration de la conjoncture en 2008 et 2009, en particulier pour l’économie américaine et de manière générale pour l’ensemble des pays développés. S’agit-il d’un avertissement aux banques centrales et aux gouvernements, d’un excès de pessimisme injustifié ou les deux à la fois ?

Brutal ralentissement dans les pays développés, bonne résistance des pays émergents

Ainsi le FMI anticipe que les Etats-Unis vont traverser une légère récession en 2008, suivie d’une reprise progressive de l’activité dans le courant 2009. Soit une croissance du PIB qui ne dépasserait pas 0.5 % en 2008 et 0.6 % en 2009. Des chiffres qui sont nettement en dessous du consensus global des économistes et plus encore de nos propres prévisions. Et pour cause : à la fin du quatrième trimestre 2007, l’acquis de croissance pour le PIB américain est déjà de 1 %. Cela signifie que pour atteindre 0,5 % de croissance en 2008 et 0,6 % en 2009, il faudrait que le PIB s’effondre au premier semestre de cette année et ne redémarre plus, ni au second semestre, ni même en 2009. Avouons que faire plus sombre serait difficile…

Pour l’Europe, les prévisions de croissance ont également été sensiblement revues en baisse et culminent désormais à 1.4 % pour la zone euro en 2008, et 1.2 % en 2009. Le détail par pays apporte la confirmation que l’Italie va demeurer le maillon faible de la zone euro (avec une croissance de 0.3 % seulement attendue en 2008 et 2009 !) et que l’économie espagnole va connaître un sensible ralentissement, après une décennie de forte expansion. L’Allemagne et la France, quant à elles, ont devant elles deux années de croissance très molle, à peine supérieure à 1.0 %…

Le ralentissement de l’économie britannique devrait également être très marqué, puisque la croissance sera quasiment divisée par deux en 2008 (de 3.1 % en 2007 à 1.6 % en 2008), en raison de l’impact négatif de la détérioration du marché immobilier sur la consommation.

Si les perspectives d’activité sont donc franchement faibles pour les économies développées, en revanche, le FMI estime que les économies émergentes sont à même de mieux résister à ce coup de froid sur l’économie mondiale. Le FMI évoque ainsi une divergence entre pays développés et émergents, se refusant toutefois de considérer qu’il s’agit d’un découplage. Néanmoins, force est de constater que, selon les dernières prévisions, l’activité va rester soutenue au sein des pays émergents et en particulier des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), qui verront leur croissance fléchir légèrement par rapport à 2007 mais demeurer à un niveau toujours élevé qui permettra à la croissance mondiale de se maintenir à 3.7 %. Ce ralentissement sera d’ailleurs autant le résultat des répercussions de l’affaiblissement de la croissance des pays développés que du durcissement des politiques économiques dans ces pays afin de contenir des tensions inflationnistes croissantes.

En effet, à l’inverse du risque qui pèse sur la croissance des économies développées, le FMI met plutôt l’accent sur le risque inflationniste qui plane sur ces économies, alors que la flambée des prix de l’énergie, des matières premières et de l’alimentation, dans un contexte de demande domestique soutenue, impose une grande vigilance des autorités des pays concernés vis-à-vis de l’inflation. En particulier, le poids plus important de l’alimentation dans les dépenses de consommation rends les indices de prix particulièrement sensibles au niveau record atteint par les prix des céréales, du riz ou de la viande en Chine par exemple.

Un message adressé aux gouvernements et banques centrales ?

L’ampleur de la révision baissière des perspectives de croissance pour les pays développés et surtout la persistance de cette croissance très faible jusqu’en 2009 cachent peut-être un message à destination des décideurs économiques des pays développés. En effet, le FMI accompagne la publication de ses perspectives de recommandations en matière de politiques monétaire et budgétaire. En l’occurrence, il appelle à un soutien des politiques économiques à l’activité dans toues les économies développées. Il approuve la politique monétaire menée par la Fed ces derniers mois et l’encourage à garder un biais baissier sur les taux. Concernant la BCE, compte tenu de ses nouvelles prévisions de croissance et de la perspective d’un retour de l’inflation vers 2 % en 2009, le FMI estime que la BCE « peut se permettre un assouplissement de sa politique monétaire » (que la BCE n’a pas encore entendu si l’on se réfère au discours tenu par J.C Trichet cette semaine).

Par ailleurs, le FMI appelle également à un soutien massif des politiques budgétaires afin de favoriser la relance de l’activité. Il salue ce qui a déjà été décidé aux Etats-Unis et appelle à une poursuite de la politique de soutien à la croissance, jusqu’à envisager lui-aussi la nationalisation au moins partielle du marché du mortgage américain.

En bref, le FMI approuve tout ce qui a déjà été entrepris en termes de soutien budgétaire et monétaire aux Etats-Unis et appelle à une poursuite de ces efforts. Il encourage également l’Europe à s’engager dans cette voie.

Ce qui nous pousse à imaginer que la noirceur des perspectives de croissance adoptées par le FMI est peut-être destinée à convaincre les décideurs de la nécessité de continuer ou commencer à soutenir l’activité par un policy mix (plus) accommodant, sous peine de voir le scénario retenu par le FMI se concrétiser. Il nous paraît en effet difficilement envisageable, même en admettant une évolution très défavorable en 2008, que la croissance reste aussi faible que ce qu’a retenu le FMI aux Etats-Unis pour 2009 (+0.6 %) compte tenu de l’ampleur des stimuli fiscaux et monétaires. De même, un nouveau ralentissement de la croissance européenne en 2009, alors que la BCE aura baissé ses taux d’ici la fin 2008 et que la croissance américaine sera certainement repartie d’ici là, nous apparaît comme hautement improbable.

Ainsi, nous interprétons ces prévisions de croissance excessivement pessimistes comme une mise en garde destinée aux gouvernements et aux banques centrales des pays développés : « compte tenu de l’ampleur du choc qui a frappé les économies avec la crise financière, voilà ce qui vous attend si vous ne réagissez pas ou pas assez fermement… » Heureusement, la Fed va continuer à baisser ses taux, la BCE commencera à baisser les siens cet été, le gouvernement américain va tout faire pour enrayer la crise financière et immobilière et le FMI pourra réviser en hausse ses prévisions de croissance lors de sa prochaine mise à jour…

N’oublions pas qu’en 1998-99, au début de la crise argentine, le FMI annonçait une reprise forte pour l’Argentine dès 2000 et un écroulement de l’activité en Russie. En 2000-2001, l’économie argentine s’est enfoncé dans la crise durable et la Russie a commencé à redémarré.

A l’évidence, il ne faut surtout pas suivre à la lettre les prévisions du FMI. En fait, elles constituent souvent un indicateur inversé du futur…

Marc Touati et Adrien Pichoud

 


 

 

 

Perspectives 2008-2009 : ACDEFI aussi inquiet que le FMI sur la zone euro mais beaucoup moins sur l’économie américaine et mondiale.