Alors que la flamme des jeux olympiques de Pékin passe de pays en pays et de fiasco en fiasco, la Chine, imperturbable, continue son bonhomme de chemin, défiant les règles usuelles de l’économie, de la finance et de la géopolitique. Ainsi, alors que l’ensemble des pays développés connaissent un ralentissement économique marqué, la Chine continue de croître à des rythmes supérieurs à 10 % en dépit du souhait de ses propres dirigeants de calmer la machine. En d’autres termes, alors que les pays occidentaux cherchent par tous les moyens à doper les chiffres de croissance, la Chine essaie de les limiter, en vain.
Plus globalement, il faut d’ailleurs souligner qu’au-delà de la Chine, cette déconnexion d’avec la croissance du monde développé concerne l’ensemble des pays dits émergents. Si bien qu’au total, ces derniers ont réalisé 60 % de la croissance mondiale en 2006, 65 % en 2007 et certainement 68 % cette année. En fait, si ce découplage est une première pour le monde émergent dans sa globalité, il n’est pas nouveau pour l’économie chinoise. Ainsi, que ce soit lors de la récession américaine de 1991, de la crise asiatique de 1998 ou encore de la baisse d’activité de 2001 aux Etats-Unis, la Chine n’a quasiment rien senti, continuant de croître sur des rythmes de 9 % à 12 %.
Le secret de cette vitalité est finalement assez simple : au-delà d’un effet traditionnel de rattrapage propre à tous les pays émergents, la Chine bénéficie de ce qui fait normalement tant défaut à ces derniers, à savoir une épargne forte. En effet, l’épargne est généralement ce qui reste du revenu lorsque les besoins de consommation ont été satisfaits. Or, dans un pays peu développé, le revenu est souvent faible et par là même utilisé dans sa quasi-totalité pour la consommation. Dès lors, l’épargne est réduite à peau de chagrin alors que les besoins d’investissement sont énormes dans ces pays. Aussi, pour résoudre cette équation, les pays émergents sont obligés de faire appel à l’épargne étrangère pour financer leurs investissements. Malheureusement, cette épargne est très volatile et peut repartir très vite en cas de craintes économique, financière ou sociale sur ces pays. D’où la récurrence des crises dans les pays émergents.
A l’inverse, grâce à une épargne d’environ 40 % de son PIB, la Chine peut continuer de croître et d’investir massivement (l’investissement représente d’ailleurs près de 45 % du PIB) indépendamment de la situation économique des pays développés. De même, dans la mesure où l’investissement constitue le premier moteur de la croissance chinoise, largement devant les exportations, le ralentissement de la croissance mondiale n’a qu’un impact limité sur l’Empire du milieu. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le yuan a encore atteint un niveau historique cette semaine à 6,99 yuans pour un dollar (contre 7,70 il y a un an). Mieux, la Chine a compris depuis déjà plusieurs années que, pour rester au sommet, elle devait multiplier ses efforts de Recherche-Développement, qui atteignent désormais près de 7 % de son PIB. Elle est par exemple devenue le leader mondial en R&D dans les énergies renouvelables.
Mais la force de la Chine ne s’arrête pas là. En effet, sa puissance économique lui a également conféré une puissance financière sans précédent. Les réserves de changes chinoises atteignent ainsi aujourd’hui près de 1650 milliards de dollars et augmentent chaque mois d’environ 50 milliards de dollars. A cela, il faut évidemment ajouter les fonds souverains de la Chine, mais aussi les fonds privés liés à l’éclosion de nombreuses richesses personnelles. S’il y a huit ans, le nombre de milliardaires résidant en Chine était de 0, on en recensait 20 en 2007 et 42 aujourd’hui. Au total, le montant global de ces fonds publics et privés atteindrait environ 500 milliards de dollars.
Autrement dit, la Chine est en train de devenir une puissance incontournable à au moins quatre titres. 1. Elle constitue une terre de croissance forte et par là même un marché exceptionnel pour les entreprises internationales. 2. Grâce à un coup de la main-d’œuvre toujours très bas, en dépit d’une salutaire augmentation, elle reste une terre d’accueil privilégiée des investissements étrangers. 3. En misant massivement sur l’investissement productif et sur l’innovation, elle s’assure une prééminence internationale pour au moins les dix prochaines années. 4. Grâce à une puissance financière de plus en plus importante, elle est désormais protégée contre toute crise interne durable et surtout dispose des moyens suffisants pour diriger entièrement ou partiellement de plus en plus d’entreprises étrangères. Dans ce cadre global, c’est-à-dire à l’échelle géographique et temporelle de la Chine, les Jeux Olympiques de Pékin sont presque un événement anodin. D’un point de vue économique et même pour la seule année 2008, leur impact sera d’ailleurs très relatif, dans la mesure où il se produira essentiellement sur la région pékinoise, tandis que l’essentiel de la Chine, JO ou pas, continuera impassiblement sur le chemin de la croissance forte.
Et la démocratie dans tout ça ? Ce n’est évidemment pas à nous de répondre à la question. Nous pouvons simplement dire qu’elle constitue actuellement la véritable carence de la Chine. Pourtant, l’Histoire nous l’a appris : la démocratie s’obtient soit grâce à la croissance dans la douceur, soit à cause de la crise économique dans la douleur. Pour l’instant, les Chinois nous promettent qu’ils se dirigeront vers la première solution. Il est vrai qu’il y a huit ans, on recensait 100 millions de Chinois vivant correctement selon des standards occidentaux. Ils sont aujourd’hui 350 millions. En huit ans, ils ont donc réussi à faire ce que l’Europe a mis un siècle à réaliser au prix de nombreuses crises, guerres et sacrifices. En étant le plus objectif possible, il faut également reconnaître que la démocratie ne se décrète pas, elle s’obtient en fonction des évolutions historiques, culturelles et sociologiques de chaque pays. Espérons donc qu’après ses prouesses économiques et financières, la Chine en fera autant sur le front démocratique dans les prochaines années. L’espoir fait vivre…
Marc Touati