Un euro à 1,5 dollar pour une croissance à 1,5 % !

C’est fait ! Après quelques semaines de repli et de répit, les marchés ont finalement réussi à atteindre un de leurs objectifs tant attendus depuis des mois, en l’occurrence le franchissement de la barre des 1,50 dollar : il faut donc désormais « débourser » 1,52 dollar pour se procurer un euro.

Une fois de plus, les stratégies chartistes, spéculatives et court-termistes ont pris le dessus sur les fondamentaux économiques. En effet, peu importe que le niveau économique justifié de l’euro soit de 1,05 dollar selon la parité des pouvoirs d’achat. Peu importe que celui obtenu par le calcul du Natrex (Natural Exchange Rate, c’est-à-dire le niveau d’équilibre au regard des différences de soldes des comptes courants, d’épargne et de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro) soit compris entre 1,15 et 1,20 dollar. Peu importe également que, sur les trente dernières années, le niveau moyen de l’euro/dollar soit de 1,13. Peu importe enfin que cet euro excessivement cher et, réciproquement, ce dollar de combat accentuent le ralentissement eurolandais et permettent à l’économie américaine de redémarrer encore plus fort. Et ce, sachant que cette dernière dispose déjà des soutiens majeurs du fort assouplissement monétaire de la Fed et d’une relance fiscale de plus de 160 milliards de dollars, alors que l’Euroland ne peut compter que sur les exportations allemandes pour éviter un écroulement massif.

Non, tout ça n’est rien à côté de la volonté des marchés, ou plutôt de leur manque de discernement économique. Certes, les marchés ayant toujours raison, du moins à court terme, c’est plutôt nous qui sommes actuellement dans l’erreur. Dans ce cadre, il faut reconnaître qu’il pourrait être tentant de jeter aux orties nos précédentes prévisions de baisse de l’euro à partir du printemps-été 2008 et de suivre le troupeau en annonçant, nous-aussi, que l’euro se dirige tout droit vers les 1,60 dollar et pourquoi pas vers les 2 dollars… D’ailleurs, les arguments consensuels ne manquent pas : l’économie américaine est en déclin, la Chine va convertir ses réserves de changes en euro, les pays de l’OPEP vont finir par faire payer leur pétrole en euro, la BCE va continuer de refuser de baisser son taux refi, montrant par là même son courage et sa détermination à augmenter la crédibilité de l’Euroland et de sa monnaie. Dans ce cadre, la zone euro va retrouver le chemin du dynamisme économique et reprendre le leadership de l’économie mondiale, loin devant les Etats-Unis…

Oui, nous pourrions retourner nos vestes et adopter un tel discours qui nous permettrait de rester bien au chaud au coin du feu consensuel. Mais, soyez rassurés : nous ne le ferons pas. Pour la simple raison qu’en dehors du vent spéculatif qui balaie les marchés depuis bientôt un an, aucun argument économiquement viable ne peut justifier l’actuel niveau de l’euro face au dollar. A commencer par le comparatif de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro. Certes, en 2007, cet écart a été de 0,5 à l’avantage de l’Euroland. Mais, faut-il rappeler qu’au cours des cinq années précédentes, cette différence a été de 6,5 points à l’avantage de l’Oncle Sam ? De même, doit-on souligner une nouvelle fois que, depuis la fin des années 90, la croissance structurelle américaine avoisine les 3,2 %, contre 1,8 % pour celle de la zone euro ?

D’ailleurs, il ne faut pas oublier que ce n’est pas une monnaie forte qui engendre une croissance forte, mais qu’au contraire c’est une croissance forte qui permet de supporter une monnaie forte. Ainsi, même si les exportations allemandes sont peu sensibles à la variation de l’euro (du moins jusqu’à présent), la croissance eurolandaise sera amputée d’environ 0,5 point à cause du renchérissement récent de l’euro. En outre, elle devra affronter toute une série de désagréments particulièrement coûteux : ralentissement de la croissance mondiale, atonie durable de la consommation en Allemagne, dégonflement de la bulle immobilière en France et en Espagne, nouvelle crise économico-politique en Italie, sans parler de l’absence de réforme de l’économie française qui risque d’entraîner cette dernière dans une nouvelle spirale de croissance encore plus faible, suscitant par là même les critiques justifiées de ses voisins et engendrant un risque de désordre politique au sein de la zone euro.

Parallèlement, il faut souligner que la Chine n’a aucunement l’intention de convertir ses réserves de changes du dollar vers l’euro. En effet, pour engager un tel mouvement, la Chine devrait supporter un double risque de change, d’abord en convertissant ses dollars en euros, puis en réalisant l’opération inverse lorsqu’elle souhaitera payer son pétrole ou autres achats à l’étrangers en dollars. De plus, au-delà de ce double risque de change particulièrement inutile, elle devra également supporter les coûts de cette double conversion. De même, l’étalon du pétrole et de la quasi-totalité des matières premières étant le dollar, réaliser ses transactions en euros reviendrait à une prise de risque de change et à des coûts inutiles pour les pays producteurs d’or noir, jaune, vert et autres couleurs…

Enfin, à force de s’obstiner à refuser de baisser son taux refi, la BCE fait certes monter l’euro mais descendre l’économie eurolandaise vers les bas-fonds de la mollesse économique. A l’inverse, grâce à son triple policy mix (taux d’intérêt, change et fiscalité), l’économie américaine va progressivement redémarrer et distancer une Euroland qui pourra être fier de son euro à 1,50 dollar, mais certainement pas de sa croissance à 1,5 %. Une simple question se pose donc : jusqu’à quand les Eurolandais vont-ils être les dindons de la farce ?