Discussion avec Marc Touati, directeur général délégué de Global Equities et Président du cabinet de conseil ACDEFI
le 26 février 2008 à 17h00
Animateur : Bonjour à tous. Marc Touati, directeur général délégué de Global Equities, vous répondra en direct à 17h.
Animateur : Marc Touati est avec nous.
Marc Touati : Bonjour à toutes et à tous. Je suis ravi d’être parmi vous aujourd’hui pour ce chat. Dans un contexte certes troublé, où le pessimisme est souvent majoritaire, je pense qu’il est toujours possible de garder quelques espoirs, même s’il ne faut pas non plus se voiler la face et ignorer que nous sommes en train de vivre une crise financière. Mon scénario global est simple : cette crise ne dégénèrera pas en récession mondiale ni en risque systémique. Mais rentrons tout de suite dans le vif du sujet avec vos questions, qui ont été très nombreuses et je vous en remercie.
icapital : En cas de récession, est-il possible de voir une baisse de 30% du prix de l’immobilier en France (principalement en province) ?
im2007 : Quel sera l’effet d’une récession sur l’immobilier en 2008?
kbina : Vous êtes le seul économiste à avoir diagnostiquer très tôt l’éclatement de la bulle immobilière et son impact sur l’économie. Maintenant que nous y sommes aujourd’hui, combien de temps pensez vous que la crise immobilière et le récession vont durer ?
MT : Il y a environ deux ans, j’avais effectivement annoncé que l’immobilier français était en bulle et qu’un dégonflement allait se produire au cours des années suivantes. A l’époque je me suis fait beaucoup d’ennemis dans ce secteur mais ce sont eux qui aujourd’hui reconnaissent effectivement que les prix ont trop augmenté. Vous êtes d’ailleurs très nombreux à vous en inquiéter à juste titre. Certes, la bulle actuelle est bien différente de celle de 84-91 dans la mesure où elle est moins spéculative. Néanmoins, l’écart entre la valeur financière de l’immobilier et sa valeur réelle (c’est-à-dire ce qui définit une bulle) est encore plus fort aujourd’hui qu’en 91. Pour autant je ne crois pas à un effondrement des prix de l’immobilier, notamment parce que les taux d’intérêt à long terme restent bas. J’anticipe une baisse des prix en moyenne d’environ 15% dans les deux années à venir. Nous avons d’ailleurs vu ce matin que les permis de construire et les mises en chantier en France continuent de s’effondrer. Sachez également que la demande de logements neufs (chiffres INSEE) est à un plus bas depuis 1996.Nous sommes donc dans la situation de l’immobilier américain de la fin 2006 et on sait ce qu’il s’est passé ensuite. Juste pour rassurer : les biens rares ne connaîtront pas de fortes baisses.
rrwpm : “Autrement dit, après un trou d’air fin 2007 et début 2008, l’économie américaine devrait non seulement éviter la récession, mais surtout redémarrer nettement à partir de l’été prochain, ce qui se traduira par une croissance proche de 2,7 % sur l’ensemble de cette année.” Bonjour M. touati, c’est ce que vous avez annoncé sur votre site ACDEFI le 18 janvier dernier. N’est ce pas un peu trop optimiste
rrwpm : suite à la déferlante de mauvaises nouvelles en provenance des USA?
M6404094 : La croissance des pays développés (Etats-Unis, Espagne, GB….) a été soutenue par l’immobilier depuis 2002 grâce au crédit facile. A combien estimez -vous la perte de croissance si ce moteur venait à s’arrêter ? Existe t-il d’autres moteurs susceptibles de prendre la relève ? On pense souvent aux consommateurs Chinois. Mais est-ce que leur compétitivité peut aborber les hausses de salaire ? ou n’est-ce qu’une belle histoire pour nous rassurer
MT : La prévision économique est une leçon permanente d’humilité. Le plus important est de justifier ses prévisions, sans suivre bêtement le consensus. C’est ce que je m’efforce de faire de faire depuis 15 ans avec des succès et aussi des erreurs. Pour cette année, j’ai peut être effectivement pêché par excès d’optimisme, néanmoins je confirme ma prévision d’une croissance américaine qui, après un premier trimestre 2008 difficile, connaîtra une reprise. La raison en est simple : toutes les armes de politiques économiques sont en action. La Fed a fortement baissé ses taux directeurs et poursuivra encore cette politique dans les mois à venir. Nous anticipons un taux des federal funds de 2 à 2,5% à l’horizon du printemps prochain. En outre, le plan de relance de plus de 160 milliards de dollars, c’est-à-dire le double de l’impulsion fiscale pratiquée en 2002, produira également ses effets. Enfin, le dollar faible favorisera également l’économie américaine. Voilà pourquoi nous anticipons une croissance d’environ 2% cette année. N’oublions jamais que l’économie n’est pas une science exacte mais une science humaine. L’élément déterminant réside ainsi dans la réactivité des acteurs économiques publics, monétaires et privés. C’est exactement grâce à cette réactivité que l’oncle Sam a pu redémarrer après 2001, alors tout le monde annonçait son écroulement. A l’inverse, par manque de réactivité et alors que beaucoup anticipaient une reprise dans la zone euro, cette dernière s’est effondrée dès 2002, pour ne redémarrer timidement qu’en 2006. C‘est exactement ce que nous devrions malheureusement connaître cette année : un redémarrage américain et une croissance ralentie dans la zone euro.
levass11 : Bonjour M. Touati, J’avais une question concernant les pays émergents. Pensez vous, malgré la récession américaine, que seule la demande intérieure de ces pays émergents puisse permettre de tirer la croissance mondiale vers le haut?
brunetc7 : la crise Americaine peut-elle se transmettre aux pays Asiatiques ?et si oui par quels vecteurs la contagion peut-elle s’etendre?
M6649783 : bonjour alors que les risques de recession ou au moins de ralentissement ne font aucun doute, n’est il pas naif de croire que les marchés emergents vont tirer la croissance alors qu’ils ne font que produire les biens de conso que les pays developpés achetent? quels seraient les vraiment risques au niveau mondial d’une decroissance de leur excédents commerciaux et donc d’un moindre soutien de nos economies?merci
ldesmond : on parle de la recession aux US et des repercussions dans l’UE mais qu’en est-il de la situation en Chine? Plusieurs facteurs semblent indiquer que l’économie Chinoise commence à sentir la crise qui sévit chez leurs “clients” US et UE….le danger ne viendrait-il pas de l’asie ….après les JO?
MT : Nous sommes en train de vivre une situation historique dans la mesure où pour la première fois, dans notre histoire contemporaine, nous assistons à un ralentissement des pays dits développés qui n’a que peu d’impact sur les pays dits émergents. Ainsi en 2006, 60% de la croissance mondiale a été réalisé par les pays émergents. En 2007, cette part a atteint 65%. Bien entendu, un ralentissement aura lieu cette année, mais je pense que ce monde émergent fera mieux que résister, et ce notamment grâce à la Chine. Cette dernière dispose effectivement de 2 “airbags” : 1) la dette publique chinoise n’est que de 18% du PIB, le niveau de la France en 1970… , 2) et surtout des réserves de change de plus de 1500 milliards de dollars. Ces réserves augmentant d’environ 20 milliards d’euros par mois. Cela signifie qu’en cas de ralentissement ou de difficultés bancaires, le gouvernement chinois pourra utiliser ces deux protections pour soutenir la croissance chinoise. D’un point de vue financier international, il faut également comprendre que les pays dits émergents disposent aujourd’hui d’une véritable puissance au travers de ce qu’on appelle les fonds souverains. Il faut donc s’attendre à une déferlante d’achats de la part de ces fonds dans les années à venir. Cela sera évidemment bon pour les marchés actions mais évidemment moins favorable pour ce que nos chers dirigeants appellent le patriotisme économique…
alexani2 : Bonjour Monsieur Touati,l’augmentation du prix du pétrole est elle une conséquence de la spéculation à l’échelle mondiale ?
rrwpm : Bonjour, vous avez à de trés nombreuses reprises, critiqué la position de la BCE quant à sa politique de taux vis à vis d’une inflation qui, selon vous, n’était pas une menace. A l’heure où l’inflation explose dans les pays émergents ( Chine et OPEP), que les prix des produits alimentaires explosent en france, que les taux d’inflation sont à des plus hauts aux US, pensez-vous toujours que l’inflation n’est pas un problème réel pour la BCE?Vous faîtes toujours référence à l’indice Core CPI c’est à dire hors énergie et alimentation mais est-ce bien raisonnable et réaliste?
v.raeth : quid de l’inflation ?
gomezjea : Bonjour Monsieur, comment sortir d’une stagflation et dans quel délai si elle s’installait?
MT : Ne nous voilons pas la face : l’inflation a bien augmenté ces derniers mois. Mais ceci ne justifie en rien la politique de la BCE. Au contraire, car malgré la hausse du taux Refi, l’inflation a augmenté. Et pour cause, elle n’est absolument pas due à la situation de la zone euro, mais à plusieurs chocs internationaux sur les marchés des matières premières, sur lesquels aucune banque centrale n’a évidemment de pouvoir. Il faut bien prendre conscience que l’inflation ne justifie un resserrement monétaire que si elle est due à une demande supérieure à l’offre?. La hausse des raux permet alors de ralentir la demande et de réduire l’inflation. Ce qui n’est aboslument le cas aujourd’hui, voilà pourquoi nous vivons dans une stagflation : stagnation économique et inflation élevée. Face à cette situation il faut identifier la priorité qui est selon moi la croissance et l’emploi et certainement pas l’inflation, qui dépend de la spéculation sur les marchés internationaux et qui finira bien par s’estomper d’elle même. Dans ce cadre, la Fed a raison de soutenir la croissance, quitte à moins se soucier de l’inflation. Quant à la BCE, je suis désolé mais elle a bien tort. Qui plus est, je vous invite tous à consulter l’article 105 du Traité de Maastricht qui stipule explicitement que l’inflation est l’objectif principal, mais pas unique de la BCE. Il mentionne également que la BCE peut aussi soutenir les objectifs de l’article 2, en l’occurrence la croissance et l’emploi. Bien entendu, la BCE n’est pas coupable de tous nos maux mais avouons que si l’erreur est humaine, se tromper systématiquement depuis 1999 pose problème.
dws : L’évolution du taux de change EUR / USD influence largement la croissance de l’Eurozone. Comment voyez vous son évolution au cours de 2008 ? Est ce une des clés pour éviter la récession en Europe ?
kbina : Pensez vous que l’Europe pourra échapper à la récession grace à une (des) intervention(s) opportune(s) de la BCE ?
MT : Une appréciation annuelle de l’euro de 12% représente un coût d’environ 0,4 point pour la croissance eurolandaise et de 0,5 point pour celle de la France. Parallèlement, toute variation de taux monétaire et/ou de change prend 6 à 9 mois pour agir sur l’activité. Cela signifie donc que de ce point de vue là, l’année 2008 est déjà jouée. J’anticipe néanmoins une baisse de l’euro à partir de mai-juin prochain, notamment de par le redémarrage américain et le ralentissement eurolandais qui finira par amener la BCE à baisser son taux Refi à ce même horizon. L’euro pourrait donc atteindre un niveau d’environ 1,35 dollar fin 2008, ce qui permettra à la zone euro de se reprendre, mais seulement en 2009.
Animateur : Les dernières questions…
valetjf : Bonjour Monsieur Touati, en un peu plus d’un mois, le CAC a repris 400 points sur ses plus bas. Alors que les statistiques US sont de plus en plus mauvaises et qu’en France le pessimisme ambiant s’accroît, pensez vous que nous allons toucher un nouveau plus bas en 2008, ou bien que 4500 aura été le plancher ?
pietrijo : Bonjour M. Touati, estimez vous que ce soit une erreur d’investir aujourd’hui en SICAV MIDCAP Européennes aux niveaux actuels, à horizon fin Avril. Croyez vous à un nouveau repli important des cours boursiers (si oui de combien). Aussi, quand croyez vous que nous y verrons plus clair sur les marchés et quel est enfin votre objectif CAC40 à fin 2008. Merci et félicitation pour votre site ACDEFI.
bazzara : bonjour a combien le CAC40 devrais finir l’année d’après vous. merci.
MT : Compte tenu de l’incertitude qui pèse encore sur la croissance américaine et sur le secteur bancaire international, il faut s’attendre à encore 2 à 3 mois de très forte volatilité. En revanche, le massacre qu’ont subi de nombreuses entreprises (petites, moyennes et grandes) sans aucune raison valable, montre qu’il existe une marge de rattrapage assez forte. A la différence de 2000, il n’y a pas eu de surinvestissement ni de surstockage et il n’y a pas non plus aujkourd’hui de pénurie de liquidités au niveau mondial. Simplement cette liquidité se situe principalement dans les pays émergents et est en train de revenir aux Etats-Unis. Dans ce cadre, lorsque les investisseurs auront retrouvé leurs esprits et cesseront de se focaliser sur le chartisme et le court termisme, ils se rendront compte que de nombreuses valeurs sont vraiment peu chères. Dans ce cadre, je pense que le CAC 40 peut rebondir vers des niveaux de 6000 points d’ici la fin de l’année. En outre, notamment grâce à un effet dollar, le marché américain devrait surperformer ses homologues européens, en particulier le Dax.
ruiz1234 : bonjour, j’ai pris du natexis parce que je vous appréciais, depuis vous n’y êtes plus, pensez-vous qu’elles vont remonter à leur prix d’origine.
g.vidal1 : QUE PENSEZ VOUS DE NATIXIS
MT : Il est vrai que depuis mon départ de Natixis le cours n’a pas arrêté de chuter, mais il n’y a peut être pas de relation de “cause à effet”. Je pense que Natixis devrait rebondir surtout vu son cours actuel. Plus globalement, il faut s’attendre à de très fortes restructurations dans le paysage bancaire et financier français, européen et mondial. Il y aura encore certainement quelques cadavres qui sortiront des placards dans certaines banques, mais une fois la purge passée, c’est-à-dire à partir de juin, le regain de fusion-acquisition dans ce secteur permettra de se refaire une petite santé.
Animateur : La dernière…
gilpaul1 : Bonjour Marc ,Christine Lagarde nous annonce 2% de croissance du PIB en 2008 ,”gouverner c’est prévoir ” ,a t on en France un gouvernement de guignols ???
M6649783 : si la conso ralentie en france , pouverz vous chiffrer quel serait un scenario catastrophe?
MT : Depuis 2001, tous les gouvernements français ont annoncé, chaque année, une prévision de croissance hexagonale de 2 à 2,5%. Or sur cette même période, la croissance française a été de 1,7% en moyenne par an. On peut se tromper une fois, mais 7 fois de suite ça fait beaucoup! Malheureusement, et je l’ai vécu à titre personnel au travers de pressions diverses et variées, nos gouvernements pensent trop souvent que la méthode Coué est une stratégie économique… On l’a encore vu hier avec la soi-disant opération coup de poing sur l’inflation. Ce que veulent les Français aujourd’hui est ailleurs : c’est-à-dire dans du concret, des réformes structurelles, qui sont le seul moyen de relancer l’économie française. Pour faire vite, la pression fiscale en France est de 45% du PIB, soit 4 points de plus que la moyenne de la zone euro. Il y a donc un trop plein fiscal en France d’environ 60 milliards d’euros. Tant que nous n’aurons pas réduit cette pression excessive, la France ne pourra redémarrer. Il faut donc abaisser un maximum d’impôts pour tous : les entreprises, les ménages, favorisés et modestes (sachant que malheureusement depuis 5 ans, ces derniers sont de plus en plus nombreux). Autrement dit, le modèle social français ne fonctionne plus. Bien entendu, il faudra en même temps réduire la dépense publique qui atteint, quant à elle, 54% du PIB, l’un des niveaux les plus élevés du monde. Et c’est malheureusement là que le bât blesse, dans la mesure où depuis tant d’années tous nos dirigeants n’ont pas eu le courage de le faire. Pour conclure, faisons donc un rêve : que la France se modernise et fasse enfin passer le pragmatisme et l’efficacité économique avant le dogmatisme. C’est tout le mal que je nous souhaite. Merci beaucoup et désolé pour toutes les nombreuses questions auxquelles je n’ai pas pu répondre.
A très bientôt. Amicalement, Marc Touati.