De quoi attiser l’ire de
Ce nouveau statut marque tout d’abord la fin d’une époque : Kiev tire un trait sur son passé de satellite soviétique. La mainmise russe sur l’Ukraine ne date pas de
Il n’est pas trop s’avancer que dire que la date d’entrée de l’Ukraine à l’Organisation Mondiale du Commerce – entrée qui sera effective après la ratification de l’accord par le Parlement ukrainien d’ici le 4 juillet prochain et fera de Kiev le 152e membre de l’OMC trente jours après – devrait rester dans les annales nationales.
Ce sésame marque pour ce pays, aux portes de l’Europe, pont entre l’Ouest et l’Est, un véritable tournant dans son Histoire.
Attention à l’emballement !
Sur le plan économique d’abord, l’appartenance à l’OMC ne signifie pas moins que le déni du système soviétique en la matière.
En réalité, l’Ukraine telle qu’on la connaît aujourd’hui est un jeune adolescent. En rejoignant le club, elle espère donner un coup d’accélérateur à son développement. Son président en attend une croissance du PIB de 1,7 %, une augmentation de 3,5 milliards de dollars des investissements étrangers directs – ils étaient d’environ 9 milliards en 2007 – et une hausse de 10 % des exportations – plus 4 milliards de dollars espérés.
L’Ukraine veut récolter les « fruits » après avoir multiplié les efforts pour recevoir son droit d’entrée. L’accord cadre avec l’OMC qui fixe ses engagements sur l’ouverture de son marché dans les secteurs industriel, agricole et des services ne fait pas moins de 900 pages. Dans les services, le texte prévoit 155 engagements, essentiellement des concessions sur les droits de douane. Dans l’industrie – moteur de son économie –, les droits de douane ukrainiens seront ramenés à zéro dans plusieurs domaines, comme les produits chimiques, le textile, les machines agricoles, l’aéronautique… Dans l’agriculture, l’ancien « grenier à grain de l’URSS » s’engage à fixer le niveau de ses subventions à la production et aux exportations et à ne pas augmenter les subsides à l’avenir.
En retour, les autorités ukrainiennes tablent sur une nette embellie pour leur industrie lourde : une hausse de 22 % de la production et de 19 % des emplois dans le secteur métallurgique, qui représente tout de même un quart de la production industrielle nationale. Pour les produits chimiques, la présidence se vante d’une augmentation à venir de 21 % de la production, de 3 % des exportations et de 17 % de l’emploi. Kiev attend également une croissance de 44 % de ses exportations agricoles.
L’Ukraine voit grand. Peut-être un peu trop d’ailleurs. Si sa croissance dépassait les 8,4 % par an entre 2000 et 2004[i] grâce au dynamisme de la consommation privée – par un effet de rattrapage dû à une hausse des salaires et des transferts sociaux à la fin des années 1990 –, de l’investissement et des exportations – soutenues alors par la hausse des cours des métaux mais pas encore pénalisées par le renchérissement du gaz importé –, elle s’est fortement ralentie en 2005, dans un contexte de doutes sur sa politique économique : nouvelle donne au pouvoir, vague de re-privatisations, réformes budgétaires et réglementaires en panne… Entre 2000 et 2006, la croissance annuelle du PIB ukrainien a tout de même été de 7,4 %[ii].
Mais l’inflation est restée relativement forte – aux alentours de 10 % en 2006 –, la balance commerciale s’est grevée en raison d’une forte hausse des importations – tendance qui ne devrait pas s’arrêter. L’adhésion à l’OMC pourrait pénaliser l’industrie agroalimentaire en provoquant un doublement des importations ukrainiennes.
Last but not least, il ne faut guère compter davantage sur la consommation de ménages pour doper le PIB dans un pays où 30 % de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté.
« Par conséquent, il reste beaucoup à faire pour maintenir l’Ukraine sur un sentier de croissance forte et durable », note l’OCDE dans une étude de 2007. La première phase d’expansion, lors de laquelle « l’industrie ukrainienne a largement épuisé les gains de compétitivité-coût enregistrés après la crise », semble révolue. Avec l’entrée dans l’OMC, s’ouvre une nouvelle étape, pleine de promesses mais non dénuée de risques.
Jalousies
Sur le plan politique ensuite, Kiev joue sur deux fronts. Une politique qui pourra lui rapporter si elle est savamment menée, tout comme elle risque de lui nuire en cas de dérapage incontrôlé.
Kiev regarde désormais vers l’Ouest. Avec son entrée dans le saint des saints des organisations multilatérales, l’Ukraine espère réenclencher les discussions avec l’Union Européenne et pourquoi pas signer d’ici peu un accord de libre-échange avec elle. Le pays a déjà conclu un accord avec Bruxelles impliquant une réduction de ses droits à l’exportation sur certaines matières premières.
L’Ukraine se met même à rêver d’une UE à 28 et d’OTAN.
Mais il s’agit de ménager la chèvre et le chou. Officieusement, l’Ukraine peut se ravir de son joli pied de nez en étant acceptée à l’OMC avant
Quoiqu’il en soit, ce nouveau statut ukrainien ne devrait pas faire taire le chantage diplomatique et commercial qui se joue entre les deux voisins depuis quelques années déjà.
Enfin, il n’y a pas que l’Ukraine qui se réjouisse de son entrée dans le giron de l’OMC. L’Organisation elle-même n’a pas manqué de se servir de cet événement pour faire de la « comm’ », alors même qu’elle reste engluée dans l’interminable cycle de négociations de Doha. Pour son porte-parole, l’adhésion de Kiev devrait « renforcer le système commercial multilatéral ». Pascal Lamy n’a pas hésité à parler d’ « universalité » alors que, je cite, « l’Ukraine rejoint l’OMC à un moment crucial ». Mais il ne faut pas compter sur cette union pour remettre sur pied l’OMC.
Dans ce « triangle amoureux », combien de temps durera l’enthousiasme ? Qui craquera le premier ? On demande à voir.
Alexandra Voinchet