La patience, un art indien.

« Chaque Européen qui vient en Inde apprend à avoir de la patience s’il n’en a pas et la perd s’il en a », dit-on en Inde. Nicolas Sarkozy devra donc réfréner ses ardeurs s’il compte réaliser cette fin de semaine une moisson aussi fournie en Inde que lors de ses précédentes « expéditions séduction », en Chine notamment.

Et de la patience, l’Inde en a à revendre. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du sous-continent bien nommé l’« éléphant ».

Sans se presser, l’Inde aura tout de même rapidement mis fin à un passé de dépendance coloniale et à cinquante ans de protectionnisme, empreint de nehruisme, de tiers-mondisme et de doctrine du non-alignement. Si l’Inde reste encore dans l’imagerie courante ce pays aux vaches sacrées, dominé par le système de castes, à la population nécessiteuse, il est aussi ce nouvel eldorado pour les hautes technologies, l’industrie automobile et la pharmacie, qui diplôme des ingénieurs à tours de bras et compte une classe moyenne au niveau de vie proche du nôtre presque aussi importante que la population européenne.

Ambiguë, ambivalente, tiraillée entre traditions et modernité, l’Inde avance. Sa croissance devrait avoisiner les 9 % en 2007 – un taux plus qu’enviable sur le Vieux Continent et qui en fait la troisième économie mondiale en PIB ppa.

Le secteur industriel représente un peu moins de 30 % de la production de richesses en Inde, celui des services 55 %. Une répartition en pourcentage assez proche finalement de celle que l’on connaît en Occident même si les ratios sont autrement plus grands : la terre fait vivre     60 % des 1,1 milliard d’Indiens.

L’Inde est aujourd’hui en position d’offreur et de demandeur : si elle produit de plus en plus, exporte de plus en plus et attire les partenariats en tous genre, elle fourmille aussi de besoins pour soutenir son dynamisme et possède les finances nécessaires – avec des réserves de change qui ont grimpé de 1 milliard de dollars en 1990 à près de 270 milliards en 2007 *. Un coche qu’entend saisir la France en quête de contrats et de débouchés.

Il faut dire qu’il y a du retard à rattraper. La part de marché tricolore en Inde est tombée de    4 % dans les années 1980 à 1,8 % aujourd’hui. Pour l’heure, les échanges entre les deux pays se montent à environ 5 milliards d’euros – loin derrière les 10 milliards échangés entre l’Inde et l’Allemagne par exemple.

La France exporte en Inde pour 2,5 milliards d’euros *, une somme en perpétuelle augmentation (+ 37,8 % en 2006). Il s’agit avant tout de biens d’équipement, et notamment aéronautique, et de biens intermédiaires. La France importe des produits indiens pour le même montant environ, notamment du textile habillement.

Elle y investit également – environ 750 millions de dollars sur un stock total d’investissements directs étrangers estimés à 34 milliards de dollars.

Elle s’y installe aussi : actuellement, quelque 400 filiales françaises sont implantées en Inde et emploient plus de 100 000 personnes.

Et elle ne compte pas s’arrêter là. Le voyage de Nicolas Sarkozy en Inde n’est pas innocent, loin s’en faut. Aéronautique, armement, énergie et centrales thermiques, nucléaire civil, industrie pharmaceutique, infrastructures – notamment ferroviaires –, gestion des déchets, assainissement et développement durable… : les parts de marché qui s’entrouvrent ont de quoi faire saliver. Mais hors de question de pêcher par gourmandise. « Avoir de la patience », tel sera le maître mot. En affaires – comme en amours –, « les Indiens sont beaucoup plus réticents à faire des annonces et à s’engager très rapidement avec un partenaire », explique dans un bon mot Valérie Niquet, spécialiste de l’Asie à l’Institut français des relations internationales (Ifri). A-t-on pensé à prévenir Nicolas Sarkozy ?

Alexandra Voinchet

* Source : Mission économique en Inde, 2007