Récession, marchés et or (E&S n°26)

L’humeur :

La récession au coin de la rue ?

En plus des résultats trimestriels calamiteux de la plupart des banques occidentales, les investisseurs n’ont désormais plus qu’un mot en tête : récession. Il faut dire qu’Alan Greespan en personne est venu annoncer que cette dernière était désormais présente aux Etats-Unis. A l’évidence, après avoir été l’un des meilleurs banquiers centraux que la planète ait connus, l’ex-Magic Greenspan risque de tout gâcher, et en particulier son image, à force de vouloir continuer à faire bouger les marchés par le simple mouvement de ses lèvres, savonnant par là même la planche à son successeur.

Dès lors, tant que les marchés n’auront pas tourné la page Greenspan, Ben Bernanke ne pourra s’imposer et gagner en crédibilité, déstabilisant de fait la confiance et l’évolution des marchés. Nous le vivons d’ailleurs dans le cas précis puisque les déclarations d’Alan Greenspan sur l’avènement de la récession outre-Atlantique ont plus de poids et d’influence que celles de Ben Bernanke sur sa volonté d’assouplir encore sa politique monétaire et d’éviter ainsi une récession forte et durable de l’économie américaine.

Car, au-delà du mot, l’enjeu véritable n’est pas de savoir si les Etats-Unis entreront ou non en récession mais de savoir si, le cas échéant, cette dernière sera limitée tant en ampleur qu’en durée. Plus que de se disputer sur la sémantique, c’est bien à cette question que les économistes et intervenants des marchés doivent tenter de répondre.

Tout d’abord, rappelons que, techniquement, la récession est présente si le PIB de l’économie concernée recule pendant deux trimestres consécutifs. Or, cette perspective est loin d’être assurée. Certes, l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière est passé sous la barre des 50 (censée représenter la frontière entre le recul et la progression de l’activité) en décembre, à 47,7 précisément, un plus bas depuis avril 2003. De même, les ventes au détail ont baissé de 0,4 % en décembre, ce qui a d’ailleurs particulièrement inquiété les marchés cette semaine. Enfin, il est clair que le dégonflement de la bulle immobilière n’est pas encore terminé et que, par là même, l’investissement logement des ménages continuera de reculer pendant encore quelques trimestres.

Néanmoins, ces trois arguments qui sont généralement avancés pour justifier l’imminence d’une récession outre-Atlantique doivent être relativisés. Primo, il faut souligner que l’industrie manufacturière ne représente plus que 13 % du PIB américain. D’ailleurs, en avril 2003, la croissance des Etats-Unis était encore de 1,5 %. Autrement dit, un indice ISM manufacturier sous la barre des 50 n’est aucunement synonyme d’une récession de l’ensemble de l’économie américaine. En outre, l’indice ISM dans les services reste encore très élevé, à 53,9 en décembre, niveau généralement compatible avec une croissance globale d’environ 2,5 %.

Secundo, sur le front de la baisse de ventes au détail en décembre, n’oublions pas que celles-ci avaient progressé de 1 % le mois précédent et que les biens manufacturés ne représentent qu’environ 30 % de la consommation totale telle qu’elle est mesurée dans les comptes nationaux. Autrement dit, l’heure de l’effondrement de la consommation des ménages n’a toujours pas sonné. Et ce, d’autant que les salaires demeurent appréciables.

Tertio, si l’investissement logement a et va encore reculer, il faut se souvenir qu’il ne représente que 4,5 % du PIB. Mais surtout, cette carence est plus que compensée par la résistance de l’investissement des entreprises, notamment dans les NTIC et les industries de pointe au sens large (bio- et nano-technologies notamment, sans oublier les NTE, les Nouvelles Technologies de l’Energie). Dans ce cadre, le cercle vertueux de croissance investissement-emploi-revenu-consommation a de quoi traverser l’actuelle tempête sans trop de dégâts.

Ainsi, s’il est clair que la croissance américaine sera inférieure à 0,5 % (i.e. 2 % en rythme annualisé) au quatrième trimestre 2007 et au premier de 2008, la succession de deux trimestres consécutifs de baisse du PIB ne nous paraît pas d’actualité. En outre, même dans le cas extrême où une petite baisse du PIB serait enregistrée sur un trimestre, elle ne sera que temporaire pour la simple raison que toutes les armes de politique économique sont déjà en marche outre-Atlantique et/ou seront même dynamisées dans les prochains mois. Ainsi, déjà en action depuis 2002 et revigoré depuis 2006, le dollar faible a déjà commencé à tirer les exportations américaines à la hausse et à augmenter les investissements directs étrangers vers les Etats-Unis.

Ensuite, même s’il a été enclenché avec retard (c’est-à-dire seulement lors de l’été dernier), l’assouplissement monétaire de la Réserve fédérale a déjà permis de faire baisser les taux longs et va commencer à agir sur l’activité. Mieux, le taux objectif des federal funds sera abaissé de 50 points de base le 30 janvier et ira jusqu’à 3,25 % dès le printemps. Ce qui ne manquera évidemment pas de soutenir la croissance. Enfin, avec un déficit public de 1,2 %, l’arme budgétaire va pouvoir également être enclenchée, soutenant principalement la consommation des ménages, via un gel des intérêts d’emprunt à taux variable et une réduction de la pression fiscale.

Autrement dit, après un trou d’air fin 2007 et début 2008, l’économie américaine devrait non seulement éviter la récession, mais surtout redémarrer nettement à partir de l’été prochain, ce qui se traduira par une croissance proche de 2,7 % sur l’ensemble de cette année. Non, l’écroulement des Etats-Unis n’est ni pour aujourd’hui, ni pour demain…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Perspectives 2008 : Vivement 2009 !


Poursuite de la crise du subprime, difficultés prolongées voire aggravées pour les banques occidentales, pétrole autour des 100 dollars, euro trop fort, craintes de récession aux Etats-Unis, chute de la croissance et de la confiance dans la zone euro, dégringolade boursière… A l’évidence, l’année 2008 se présente très mal. D’où notre cri du cœur : « Vivement 2009 ! ».

Pourtant, dans la mesure où nous ne pouvons pas avancer le temps et où il nous faudra bien traverser cette douloureuse nouvelle année, il est peut-être encore possible d’identifier quelques lueurs d’espoirs, qui pourraient finalement transformer, non pas le cuivre en or, mais le noir en gris. Ce qui, compte tenu de l’obscurité et du pessimisme ambiants, ne sera déjà pas si mal.

Certes, jusqu’au printemps prochain, il est clair que les mauvaises nouvelles resteront d’actualité. En effet, les statistiques d’activité resteront particulièrement mauvaises aux Etats-Unis et ne cesseront de se dégrader dans la zone euro. Dès lors, les investisseurs resteront fébriles, suscitant de nouvelles secousses notamment sur les marchés boursiers.

Cependant, principalement grâce à l’assouplissement passé et à venir de la politique monétaire américaine, mais aussi à la résistance des pays émergents, Chine en tête, les nuages se dissiperont progressivement à partir de juin et la récession mondiale ou encore le krach boursier international seront finalement évités. Ainsi, sur l’ensemble de l’année, la croissance mondiale devrait avoisiner les 4,3 %. Ce qui sera certes inférieur aux 5,4 % de 2006 et aux 4,7 % de 2007, mais restera néanmoins très honorable et, de fait, supérieur de 0,7 point au niveau moyen de la croissance mondiale observée au cours des vingt dernières années. Non, tout ne sera pas négatif en 2008 !

D’ailleurs, dans cette phase de ralentissement généralisé et pour la première fois dans l’histoire économique moderne, les pays émergents continuent de tirer leur épingle du jeu. Il faut dire qu’ils sont tractés par une locomotive de poids : la Chine. Grâce à un investissement massif (qui représente d’ailleurs 45 % du PIB, là aussi un record absolu dans l’histoire économique contemporaine) et à une nette montée en gamme de ses exportations (55 % d’entre elles sont des produits à moyen et fort contenu technologique, c’est-à-dire un peu plus qu’en France), l’Empire du Milieu continue de défier ses principaux rivaux et maintiendra son rythme de croissance autour des 11 % au moins jusqu’en 2008.

A un degré légèrement moindre, l’Inde ainsi que les Dragons et Tigres d’Asie seront aussi de la fête puisque leur croissance devrait avoisiner respectivement 8,5 % et 5 % en 2007-2008. Enfin, avec 5 % et 6%, l’Amérique Latine et la Russie resteront également bien placés dans le concert international de la croissance. Dans ce cadre la part des pays dits « émergents » dans la croissance mondiale ne cesse de croître. Ainsi, après avoir déjà atteint 60 % depuis le début de la décennie, cette part devrait atteindre 65 % tant en 2007 qu’en 2008.

La question est alors de savoir si cette part ne s’accroîtra pas au cours des années suivantes, c’est-à-dire si les pays développés ne subiront pas une stagnation, voire une récession économique. La réponse dépendra principalement des politiques monétaires menées des deux côtés de l’Atlantique. Si la Fed semble disposée à éviter ce cas de figure, telle n’est pas le cas de la BCE.

Marc Touati


En 2007 et 2008, les pays émergents réalisent 65 % de la croissance mondiale :


Et les marchés dans tout ça ?

Il est « l’or » de se réveiller…


250 dollars en 1999, 500 dollars fin 2005 et plus de 900 dollars aujourd’hui ! Mais où s’arrêtera l’envolée spectaculaire du prix de l’once d’or ? D’ores et déjà, les sommets de 1980 sont largement dépassés. Pour autant, mesurés à prix constants, les 835 dollars atteints en 1980 (à Londres, certes sur une seule journée) correspondent à environ 2200 dollars aujourd’hui. Dans ce cadre et en supposant que l’éventuelle prochaine crise iranienne sera encore plus dangereuse que le second choc pétrolier, les spéculateurs à la hausse sur le prix de l’or ont vraisemblablement de beaux jours devant eux.

Or : une flambée relative ?

Et ce d’autant que la croissance chinoise peine à ralentir, que la Banque Populaire de Chine ne se cache plus de convertir une partie croissante de ses 1 528 milliards de dollars de réserves de changes en or et que les réserves d’or des banques centrales de la planète sont à des planchers depuis 1950. Autrement dit, tout semble militer pour une nouvelle hausse des cours de l’or.

Néanmoins, la question essentielle reste de savoir si cette hausse de l’or est justifiée sur la base des fondamentaux économiques et financiers internationaux. En effet, ce fameux métal jaune constitue généralement une valeur refuge contre un risque de dérapage inflationniste et/ou un risque de récession et/ou de krach boursier. Ainsi, tant en 1974 qu’en 1980, la flambée de l’or était notamment due à une flambée inflationniste mondiale, suivie d’une déprime forte et durable des marchés boursiers. La situation actuelle est très différente.

Tout d’abord, malgré la flambée du prix du pétrole et des autres matières premières, l’inflation mondiale reste relativement sage. Certes, elle atteint actuellement 4,1 % outre-Atlantique et 3,1 % dans la zone euro. Néanmoins, sur l’ensemble de 2008, l’inflation annuelle moyenne de ces deux zones devrait avoisiner respectivement 2,6 % et 2,1 %. Nous resterons donc très loin des niveaux d’inflation atteints lors des deux premiers chocs pétroliers, en l’occurrence presque 15 % outre-Atlantique et 11 % en Europe. Si acheter de l’or en tant que valeur refuge contre un excès d’inflation était alors tout à fait justifiable, il l’est beaucoup moins aujourd’hui.

De même, si se réfugier sur le métal jaune lors du dégonflement de la bulle Internet paraissait normal, il l’est moins actuellement. Certes, les marchés actions restent chahutés. Néanmoins, comme nous l’expliquons dans l’Humeur, la récession devrait être évitée et les marchés devraient retrouver une certaine vigueur à partir de l’été prochain. Par ailleurs, compte tenu des prix actuels de l’or et des matières premières, notamment des métaux ferreux et non ferreux, un ajustement par la demande devrait progressivement s’imposer. En effet, compte tenu de leur prix, leur consommation ne pourra continuer de croître, y compris dans les pays émergents, à commencer par la Chine. D’autant que cette dernière semble enfin décidée à ralentir sa croissance pour éviter une surchauffe et les désagréments que cette dernière pourrait causer quelques mois avant les Jeux Olympiques de Pékin. Dans ces conditions, l’ajustement des prix par la demande ne manquera pas de prendre à contre-pied les spéculateurs et de susciter, via un classique mouvement de balancier, une correction baissière des cours.

Une question continue néanmoins de tarauder les investisseurs et d’accroître par là même la spéculation haussière sur l’or : et si la situation géopolitique mondiale se dégradait, notamment avec l’Iran, entraînant le baril à 150 dollars et l’inflation vers un nouvel accès de fièvre ? L’or valeur refuge prendrait alors encore plus de sens, pourrait-on penser. Certainement à court terme. Cependant, à moyen terme, une déstabilisation géopolitique internationale se traduirait assez rapidement par une récession mondiale, donc par une forte baisse de la demande de matières premières. Leurs cours chuteraient alors fortement et l’inflation avec. D’où une faible justification de l’achat d’or pour motif inflationniste. Parallèlement, les économies émergentes chuteraient également fortement, notamment via un recul de leurs exportations, donc de leurs réserves de changes et réduiraient par là même leur demande d’or. Enfin, la Fed ne manquerait pas de réduire encore plus ses taux directeurs, soutenant par là même les marchés actions. Ce qui permettrait de se passer de l’or en tant que valeur refuge contre un krach boursier. Autrement dit, si le métal jaune est actuellement à la mode, il sera bientôt « l’or » de se réveiller et de retrouver une meilleure corrélation de son prix avec les fondamentaux économiques.

Marc Touati


Les évènements à suivre du 21 au 25 janvier :

Le moral poursuit sa baisse des deux côtés du Rhin.


Après la densité statistique des dix derniers jours, cette semaine économico-statistique sera relativement calme, avec seulement quatre publications déterminantes, dont principalement le climat des affaires de janvier en France et en Allemagne et le PIB britannique du quatrième trimestre 2007.

On notera également la réunion de politique monétaire de la Banque du Japon, qui ne devrait cependant pas réserver de surprise.

Mardi 22 janvier, 5h (heure de Paris) : nouveau statu quo pour la Banque du Japon.

Face à une croissance durablement molle et à la forte chute du Nikkei, la Banque du Japon devrait continuer de maintenir son taux au jour le jour à 0,5 %. Et ce d’autant qu’en dépit du retour de l’inflation dans l’Archipel, cette dernière reste très faible.

Mercredi 23 janvier, 8h45 : petit sursaut de la consommation française.

Après trois mois de baisse, la consommation des ménages en produits manufacturés devrait logiquement reprendre quelques couleurs en décembre. Néanmoins, ce rebond ne serait que de 0,6 %, ce qui se traduira par une baisse de la consommation sur l’ensemble du quatrième trimestre. Du jamais vu depuis 1997 !

Mercredi 23 janvier, 10h : la croissance britannique ralentit sensiblement.

Si l’heure n’est toujours pas à la baisse, le PIB britannique ne devrait croître que de 0,4 % au quatrième trimestre, après + 0,7 % au troisième.

Face à ce nouveau ralentissement, qui en annonce d’autre, la Banque d’Angleterre devrait continuer de réduire son taux de base dans les prochains mois et ce, dès février.

Jeudi 24 janvier, 10h : nouveau recul de l’indice IFO outre-Rhin.

Dans le sillage de l’écroulement de l’indice ZEW depuis six mois et en particulier au cours des deux derniers, l’indice IFO du climat des affaires de l’industrie allemande devrait poursuivre sa baisse. Il atteindrait ainsi un niveau de 102 en janvier, contre 103 en décembre et 108,6 au printemps dernier.

Vendredi 25 janvier, 8h45 : le climat des affaires repart à la baisse en janvier.