Brexit : qui perd gagne ?

Depuis le coup de Trafalgar du vote des Britanniques en faveur du Brexit en juin 2016, de (trop) nombreux analystes se sont employés à démontrer que ce choix douloureux serait très coûteux pour le Royaume-Uni et bénéfique pour la zone euro. Heureusement pour les Britanniques et malheureusement pour les Eurolandais, il n’en a rien été. Certes, le Royaume-Uni a souffert, notamment à cause de l’incertitude engendrée par le Brexit. Pour autant, il n’a pas plongé dans la récession. Mieux, sa croissance économique est restée appréciable et les dernières enquêtes Markit des directeurs d’achat de janvier ont même montré que l’activité s’est nettement redressée depuis la victoire de Boris Johnson aux législatives de décembre dernier. Qui l’eut cru ?

Pour nos fidèles lecteurs, il ne s’agit néanmoins pas d’une surprise. En effet, compte tenu d’une croissance structurelle vigoureuse (environ 2,3 %), des effets bénéfiques de la dépréciation de la livre sterling (qui a d’ailleurs repris du poil de la bête depuis quelques semaines) et d’un « policy mix » (c’est-à-dire les politiques budgétaire et monétaire) efficace, l’économie britannique a aisément résisté dans la tempête. Ce qu’elle fera encore au cours des prochaines années, une fois sortie de l’Union européenne.

Bien loin de cette résilience, l’économie de la zone euro a pâti et continuera de pâtir de trois handicaps majeurs : une croissance structurelle moribonde (environ 0,8 %), un euro qui reste trop fort, notamment vis-à-vis de la livre sterling et, dans une moindre mesure, du dollar, sans oublier un « policy mix » faiblement efficace et un manque dramatique de cohésion politique.

En plus d’ébranler l’Union européenne et la construction européenne dans ses propres fondements, le Brexit pourrait donc bien rappeler que la zone euro en l’état est vouée à l’échec, tandis que les Britanniques en sortiront renforcés.

En effet, depuis l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE et plus dernièrement avec l’arrivée de Madame Lagarde, tout est fait pour sauver l’UEM et permettre à cette dernière de retrouver la croissance forte. Si le premier objectif a, pour l’instant, été atteint, force est de constater que le second est loin de donner satisfaction. Avec une croissance de 1 % et bientôt encore moins, le décalage entre l’ampleur des moyens déployés et la faiblesse des résultats obtenus est criant.

Et pour cause : de 2015 à aujourd’hui, la BCE s’est livrée à une surenchère de cadeaux qui frise l’overdose. Tout d’abord, son taux refi, a été abaissé à 0 % depuis le 10 mars 2016. Ensuite, elle a déployé une « planche à billets » démentielle, dont le montant avoisine les 3 000 milliards d’euros. Autrement dit, pour éviter la rechute très probable (et qui a d’ailleurs déjà commencé) de l’activité économique de la zone euro, la BCE a décidé d’utiliser les très grands moyens. Ce n’est plus un bazooka, ni même l’artillerie lourde, mais une opération pharaonique qui mêle l’armée de terre, l’aviation et la marine…

Et tout ça pour quoi ? Pour une croissance de 1 %… Cela fait cher payer le dixième de point de croissance. Autrement dit, cette prodigalité de palliatifs s’apparente plus à un coup d’épée dans l’eau qu’à un coup de maître… En fait, à l’instar du Japon depuis le début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, la zone euro est entrée dans une phase de « trappe à liquidités » qui se caractérise par quatre composantes principales : des taux monétaires proches de zéro, une abondance de liquidités, mais une inflation trop basse et une croissance économique atone.

Cette inefficacité de la politique monétaire s’explique principalement par la défiance des agents économiques dans les structures de leur pays, qui les pousse à limiter de facto leurs dépenses d’investissement et de consommation. Les nouveaux « cadeaux » de la BCE ne font d’ailleurs que confirmer qu’elle est inquiète pour l’avenir de l’économie eurolandaise. En cas de rechute, ces récents soutiens pourraient donc aggraver la défiance dans l’avenir et limiter encore les investissements et la consommation, redoublant l’ampleur de la « trappe à liquidités ».

A l’inverse, grâce à des fondamentaux économiques plus solides et à une économie plus réactive, la « planche à billets » pratiquée par la Bank of England (BoE) depuis 2010 a permis au Royaume-Uni de retrouver le chemin d’une croissance durablement soutenue et aussi du plein-emploi. En d’autres termes, la politique monétaire britannique apparaît bien plus efficace que celle de la BCE.

Cette réalité rappelle une règle fondamentale de la politique économique : les soutiens monétaires sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes à la reprise de l’activité. Autrement dit, pour que la baisse des taux d’intérêt directeurs et la « planche à billets » soient efficaces, il faut qu’elles soient accompagnées par une faible pression fiscale, un marché du travail flexible, une dépense publique optimisée et des acteurs économiques (ménages, entreprises, collectivités publiques, partenaires sociaux) réactifs, sachant combattre l’adversité par une remise en question permanente, avec un goût aiguisé pour le risque et le succès.

Autant de qualités qui font malheureusement trop souvent défaut dans la zone euro (à l’exception de quelques pays, notamment en Allemagne, en Irlande et aux Pays-Bas) et a fortiori dans l’Hexagone. Voilà pourquoi, le Royaume-Uni et la BoE pourraient bien réussir là où l’UEM et la BCE ont échoué…

C’est triste à dire mais, finalement, quels que soient les dangers à venir, il est à peu près certains qu’au contraire des Eurolandais, les Anglais réagiront massivement, tout en transformant radicalement leurs structures économiques pour affronter le « nouveau monde ». Il serait temps que les Eurolandais et les Français le comprennent et en fassent de même. Sinon, des choix extrémistes et dévastateurs pourraient finir par l’emporter, suscitant une nouvelle crise majeure, qui pourrait bien marquer la fin de la zone euro. Et, à ce moment-là, il sera vraiment trop tard…

Marc Touati