Brexit : l’Union européenne toujours prise au piège.

L’Arlésienne ! C’est le nouveau nom que l’on pourrait donner au Brexit, tant ses atermoiements paraissent inépuisables. Dernier épisode de ce « Dallas » interminable : le Parlement britannique ayant refusé d’entériner avant le 31 octobre l’accord arraché in extremis entre Boris Johnson et l’Union européenne, cette dernière doit désormais se mettre d’accord sur une nouvelle date butoir pour la sortie officielle du Royaume-Uni. On évoquerait la prochaine Saint Glinglin…

Blague à part, ces retournements de dernière minute et autres coups de théâtre commencent à devenir fatigants. C’est à se demander si le Royaume-Uni quittera un jour l’Union européenne. En fait, et comme d’habitude, nos partenaires britanniques veulent le beurre et l’argent du beurre. En l’occurrence, quitter l’Union à moindre frais, tout en profitant de certains avantages commerciaux avec cette dernière, mais aussi en pouvant développer des relations plus étroites avec les pays du Commonwealth et les Etats-Unis.

Continuant de mettre de l’huile sur le feu, le Président Trump continue évidemment de féliciter les Britanniques pour leurs choix et de dénoncer régulièrement les échecs de l’Union européenne. Face à autant de quolibets, critiques et moqueries en tous genres, on aurait éventuellement pu s’attendre à une réponse vigoureuse de la part des Européens et de l’Union.

Mais non. Quasiment rien. Nous touchons justement là au principal échec de l’Union européenne et de la zone euro : elles ne sont pas terminées et par là même, ne sont pas crédibles sur la scène internationale. Tant d’un point de vue politique qu’économique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 1995 à 2019, la croissance annuelle moyenne du PIB a été de 3,7 % pour le monde, 2,5 % pour les Etats-Unis, 2,1 % pour le Royaume-Uni et 1,6 % pour la zone euro. Sur la même période, le poids dans le PIB mondial de la Chine est passé de 5,9 % à 19 %, celui des Etats-Unis de 19,9 % à 15 % et celui de la zone euro de 18,2 % à 11 %.

Pourtant, malgré ces réalités imparables et en dépit des avertissements récurrents, les dirigeants européens, et en particulier ceux de l’UEM, n’ont rien changé à leurs habitudes, préférant le dogmatisme au pragmatisme. Leurs réactions ou plutôt leur absence de réaction face aux atermoiements des Anglo-saxons ne cessent de le confirmer.

Mais il y a encore pire. En effet, plutôt que d’admettre leurs échecs et de se réveiller, les Européens et notamment les Français continuent de croire qu’ils restent les « meilleurs » et que le Brexit sera une chance pour eux et une catastrophe seulement pour les Britanniques. Certains ne cessent même d’annoncer que la délocalisation de la City de Londres vers Paris est imminente. Quel manque de discernement et surtout quelle supercherie ! Qui peut effectivement croire que les entreprises de sa Majesté vont quitter un paradis fiscal pour un enfer fiscal ? Et ce, en particulier dans le domaine des marchés financiers, les Eurolandais et les Français souhaitant toujours mettre en place une taxe sur les transactions financières. Soyons donc sérieux et arrêtons de vivre dans les nuages.

Certes, si les Européens suppriment définitivement le passeport financier des banquiers anglais, il est clair que ceux qui travaillent uniquement avec l’Union devront s’installer sur le Vieux continent, et d’ailleurs plutôt à Dublin ou à Francfort qu’à Paris, différences fiscales obligent. Et quand bien même, n’oublions pas que, grâce à la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés vers 15 % au Royaume-Uni, de très nombreuses entreprises, financières ou non, préféreront rester outre-Manche.

Plus globalement, rappelons que la croissance structurelle du Royaume-Uni est d’environ 2,3 %, contre 0,9 % pour la zone euro et la France. Dès lors, en cas d’éventuelle crise liée à un « hard Brexit » qui pourraient coûter 1 point de PIB en moins par an, nos partenaires britanniques bénéficieraient d’une croissance d’environ 1,3 %, tandis que les Français et les Eurolandais retomberaient en récession. C’est là l’un des principaux drames du Brexit : en poids relatif, il pourrait coûter plus cher à la France et à la zone euro qu’au Royaume-Uni.

D’ores et déjà, la forte dépréciation de la livre sterling depuis le vote en faveur du Brexit a nettement réduit les exportations françaises vers le Royaume-Uni, qui est le sixième partenaire commercial de la France avec près de 7 % de ses exportations. De plus, les investissements britanniques vers la France et la zone euro se sont fortement réduits depuis 2017. Au total, avant même d’avoir commencé, le Brexit a déjà enlevé environ 1,1 point de croissance à la France et à la zone euro en 2017-2019.

Les Européens sont donc bien pris au piège : soit ils vont au clash et prennent le risque d’affaiblir fortement leur croissance qui est déjà mal en point, soit ils cèdent aux pressions des Britanniques et perdent alors en crédibilité.

Autrement dit, plutôt que de critiquer vertement et de menacer avec des moyens qu’ils n’ont pas, les Eurolandais devraient tout mettre en œuvre pour moderniser leurs structures économico-politiques et faire de la zone euro une véritable zone monétaire optimale. De la sorte, ils pourraient investir et innover davantage, conditions sine qua non pour améliorer la croissance structurelle et lutter contre le chômage de masse. Une fois plus forts, ils pourraient alors imposer leurs choix aux autres membres de l’Union, ainsi qu’au Royaume-Uni, voire (pourquoi pas ?) aux Etats-Unis.

Malheureusement, ces espoirs de modernisation et de dynamisme renforcé continuent de rester lettre morte. C’est triste à dire mais, finalement, quels que soient les dangers à venir, il est à peu près certains qu’au contraire des Eurolandais, les Anglais réagiront massivement, tout en transformant radicalement leurs structures économiques pour affronter le « nouveau monde ». Il serait temps que les Eurolandais et les Français le comprennent et en fassent de même. Sinon, des choix extrémistes et dévastateurs pourraient finir par l’emporter, suscitant une nouvelle crise majeure, qui pourrait bien marquer la fin de la zone euro. Et, à ce moment-là, il sera vraiment trop tard…

Marc Touati