Mario Draghi à la tête de la BCE : du top au flop…

A la veille du départ en retraite de Mario Draghi, un bilan de son action à la tête de la BCE s’impose. Ne passons pas par quatre chemins : de 2011 à 2017, celui-ci a été quasiment parfait. Malheureusement, les annonces et décisions des derniers mois gâchent fortement cette réussite.

Mais, avant d’aborder les sources de déception, revenons sur les succès de celui qu’on appela très vite « Super Mario ». Et pour cause, à peine arrivé à la tête de la BCE en novembre 2011, Mario Draghi s’inscrit très vite en faux par rapport à son prédécesseur Jean-Claude Trichet. Heureusement d’ailleurs, car ce dernier n’avait pas hésité à remonter le taux refi de la BCE quelques mois plus tôt, replongeant la zone euro dans une nouvelle récession. Dès décembre 2011, « Super Mario » sauve donc une première fois l’UEM en abaissant le taux refi. En 2012-2014, alors que la crise grecque bas son plein et menace l’existence même de la zone euro, le Président de la BCE va une nouvelle fois protéger cette dernière en abaissant le taux refi à 0 % et en intervenant sur les marchés obligataires eurolandais. Enfin, le 22 janvier 2015, « Super Mario » va devenir « Mario le magicien » en engageant la BCE dans un mouvement inédit de « planche à billets » dit « quantitative easing », qui avoisinera au total la modique somme de 2 800 milliards d’euros.

Grâce à cette débauche de moyens, il est donc possible d’avancer avec certitude que Mario Draghi a sauvé la zone euro, tout en lui évitant de sombrer dans la déflation. Seulement voilà, si le pire a bien été évité, le meilleur n’est jamais arrivé. Et pour cause : l’UEM n’est jamais parvenue à retrouver le chemin de la croissance forte. Bien au contraire, elle est restée engoncée dans la croissance molle, ce qui restera d’ailleurs le drame de la présidence Draghi.

En effet et comme nous l’avons rappelé régulièrement, la prodigalité de palliatifs monétaires n’est absolument pas une garantie de réussite. À l’instar du Japon dans les années 1990, 2000 et 2010, la zone euro est ainsi entrée dans une phase de « trappe à liquidités » qui se caractérise par quatre composantes principales : des taux monétaires proches de zéro, une abondance de liquidités, mais une inflation faible voire négative, et une croissance économique atone. D’année en année, la BCE n’a d’ailleurs cessé de réviser à la baisse ses prévisions de croissance et d’inflation. C’est dire combien elle croyait en la portée de ses mesures…

Cette inefficacité de la politique monétaire s’explique principalement par la défiance des agents économiques dans les structures de leur pays, qui les pousse à limiter de facto leurs dépenses d’investissement et de consommation. A cet égard, les multiples « cadeaux » de la BCE n’ont fait finalement que confirmer qu’elle était inquiète pour l’avenir de l’économie eurolandaise. Dès lors, les rechutes de l’activité économique en dépit de ces soutiens n’ont fait qu’aggraver la défiance dans l’avenir et limiter encore les investissements et la consommation, redoublant l’ampleur de la « trappe à liquidités ».

En fait, la zone euro ressemble de plus en plus à un toxicomane, devenu dépendant à tout type de drogue. Plus il en prend, plus il en veut, de plus en plus dures, et dans des proportions de plus en plus extravagantes. L’issue d’un tel comportement est connue : soit le drogué prend conscience de sa maladie et engage des changements structurels pour sortir de son état léthargique ; soit il continue ses excès et finit par mourir d’une overdose.

Si Mario Draghi a bien été un banquier central hors pair, il a malheureusement oublié ce « détail » déterminant. Autrement dit, sa politique a très vite atteint ses limites. Ses « cadeaux » n’ont réussi qu’à sauver temporairement les meubles et à maintenir la zone euro sous perfusion, sans lui permettre de retrouver le chemin du dynamisme économique.

En outre, si pour le moment la faible inflation empêche de jauger l’impact de l’excès de liquidités, le jour viendra où cet excès produira des effets particulièrement négatifs. Autrement dit, la BCE n’a fait que gagner du temps et colmater les brèches en espérant que les déboires de sa politique ne se produiront jamais et que la vigueur économique reviendra comme par miracle dans la zone euro… Au contraire de la situation qui prévalait à la BCE de 2003 à 2011, il y a donc bien un pilote dans l’avion, qui sait piloter. Mais l’avion, lui, est resté défectueux.

Le pire est que malgré ce triste échec, Mario Draghi a décidé de terminer sa carrière à la tête de la BCE en relançant une nouvelle phase de « planche à billets » illimitée à partir de novembre prochain. Disons-le clairement : cette décision est suicidaire. Et ce, pour au moins trois raisons. Primo, parce qu’à l’instar des phases précédentes de « Quantitative Easing » celle-ci ne génèrera pas de croissance forte. Comme le dite la sagesse populaire : on ne donne pas à boire à un animal qui n’a pas soif. Secundo, cette nouvelle « planche à billets » ne fera qu’alimenter les bulles financières de ces dernières années : bulles boursières, obligataires et immobilières, qui finiront forcément par éclater avec toutes les conséquences négatives pour l’activité que l’on peut imaginer.

Tertio, en annonçant une telle décision, Mario Draghi « savonne la planche » à sa successeuse Christine Lagarde. Même si cette dernière est une dame formidable et compétente, son expérience de banquière centrale est inexistante. Elle partira donc avec un lourd handicap face à l’intransigeance structurelle des investisseurs et des marchés. En d’autres termes, à la moindre erreur, ces derniers ne lui feront aucun cadeau. De plus, « Super Mario » ayant déjà surutilisé toutes les cartouches de la BCE, cette dernière ne dispose plus de la moindre arme pour relancer la machine en cas de nouvelle crise financière et/ou économique. C’est dire les moments et les années difficiles que devra affronter Mme Lagarde, mais aussi l’ensemble de la zone euro. Car si, jusqu’à présent, cette dernière a pu être sauvée grâce à une débauche de moyens dispendieux, pourra-t-elle de nouveau l’être sans flèche dans le carcan de la BCE ?

Face à ce danger imminent, une question conclusive se pose : Quelle image de Mario Draghi retiendra l’Histoire ? Celle du sauveur de la zone euro ou celle du « dealer de cocaïne » qui entraînera inévitablement cette même zone euro dans une overdose destructrice ? Nous le saurons très bientôt…

Marc Touati