Chine : Et si Trump avait raison ?

Il faut arrêter de se voiler la face : la Chine ne veut plus se contenter d’être le leader du monde émergent, elle veut désormais dominer l’ensemble de la planète, tant d’un point de vue économique que financier ou encore politique et militaire. De plus, au-delà des mots et des souhaits, force est de constater qu’elle se donne les moyens de ses ambitions. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 1980 à 2018, le PIB chinois réel (c’est-à-dire hors inflation) a progressé de 3 050 %. Sur la même période, l’augmentation du PIB réel a atteint 928 % en Inde, 271 % pour la planète, 172 % aux Etats-Unis et 94 % en France. C’est dire l’ampleur du « miracle » chinois.

Conséquence logique de ce rattrapage détonant, la part de la Chine dans le PIB mondial (mesuré en parités de pouvoir d’achat) est passée de 2,3 % en 1980 à 19 % aujourd’hui. Celle de l’Inde de 2,9 % à 7,6 %, celle des Etats-Unis de 21,7 % à 15,0 % et celle de la France de 4,4 % à 2 %.

Parallèlement, de 1980 à 2017, le PIB par habitant à prix constants a augmenté de 2 000 % en Chine, contre une hausse de 404 % en Inde, 85 % aux Etats-Unis et 58 % en France. Bien sûr, il n’est encore que de 8 583 dollars en Chine aujourd’hui, contre 59 500 dollars aux Etats-Unis, 39 670 dollars en France, et 1 852 dollars en Inde. En termes de PIB par habitant, la Chine est actuellement au 75ème rang mondial, mais elle était 134ème en 1990 (avec 348 dollars annuels par habitant). Sur la même période, notons que la France est passée de la onzième place à la 23ème position… Autrement dit, si elle est encore loin du niveau de richesse par habitant du monde développé, la Chine est aussi en la matière sur la voie du rattrapage rapide.

Mais, attention, l’Empire de milieu ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin. Loin s’en faut. Ses objectifs sont clairs : augmenter encore fortement et rapidement son niveau de richesse et de PIB/habitant, acquérir de plus en plus de terres rares et de matières premières à travers la planète, reconstituer la « route de la soie » en dominant de plus en plus de ports en Europe (n’oublions pas que la Chine dispose déjà de la moitié de celui du Pirée et d’une bonne partie de celui de Gênes), puis progressivement imposer le yuan comme une devise internationale capable de détrôner à terme le dollar américain. Et ne nous berçons pas d’illusions : lorsqu’elle sera à la tête du monde, la dictature chinoise sera certainement beaucoup moins conciliante que ne l’ont été les Etats-Unis.

En attendant, pour être sûrs de parvenir à leurs fins et conformément à leur sens aigu de l’anticipation, les Chinois ont également confectionné plusieurs armes économiques et financières déterminantes à utiliser en cas de difficultés et/ou de crises. On en distingue au moins cinq. Les deux premiers résident dans une épargne et un investissement très élevés. Ces deux moteurs économiques représentent respectivement 50 % et 47 % du PIB chinois. Le troisième est relatif à la faiblesse de l’endettement de l’Etat qui avoisine les 20 % du PIB. Autrement dit, en cas de coup dur, Pékin pourra actionner sans difficulté l’arme du déficit public.

Mais, surtout, les Chinois ont également élaboré deux autres « airbags », qui sont en fait des armes décisives et uniques au monde. En l’occurrence, un taux de change manipulable à l’envi et des réserves de change de 3 100 milliards de dollars. Dès lors, dans le cadre de la prochaine et inévitable crise, la Chine est l’un des rares pays de la planète qui pourra relancer sa machine économique et renforcer encore son hégémonie internationale.

En d’autres termes, rien ne semble capable de pouvoir stopper le rouleau compresseur chinois. Rien, sauf peut-être Donald Trump. En effet, si ce dernier est souvent vilipendé en Europe et dans de nombreux pays à travers le globe, c’est le seul dirigeant du G20 qui semble avoir compris l’ampleur des ambitions hégémoniques et non-coopératives de la Chine. Conscient de ce danger pour les Etats-Unis, mais aussi pour l’ensemble de la planète, Trump a donc décidé de taper du poing sur la table.

Bien entendu, il prend un risque majeur car si le protectionnisme se développe, le commerce international chutera et la croissance mondiale avec. Nous serons alors tous perdants. C’est d’ailleurs pourquoi un accord sera forcément trouvé entre l’Oncle Sam et l’Oncle Chan. Pour autant, l’instauration de droits de douanes à l’égard des produits chinois crée un précédent et montre qu’il est désormais possible de freiner le « Dragon chinois » dans sa course insatiable vers la domination de l’économie planétaire.

De ce point de vue, Trump s’inscrit dans la lignée de Ronald Reagan. En effet, l’élection de cet ancien acteur de série B à la tête des Etats-Unis en novembre 1980 avait aussi créé la surprise et généré un vent de panique international. A l’époque, la guerre froide et la stagflation (stagnation économique et inflation élevée) faisaient rage et certains annonçaient même que Reagan serait le fossoyeur de l’économie américaine et qu’il finirait par déclencher la troisième guerre mondiale. Et pourtant ! Non seulement ces funestes scénarios ont été évités, mais surtout, Reagan a sauvé l’économie américaine en réussissant à la moderniser et à augmenter, par là même, sa croissance structurelle. Encore plus fort, il est parvenu à « tuer » l’URSS et à mettre fin à la surpuissance du Japon, qui, comme la Chine aujourd’hui, faisait alors preuve d’une volonté hégémonique inaltérable. En effet, en acceptant la demande de Reagan d’apprécier fortement le yen, le Japon s’est effondré et ne s’en est d’ailleurs toujours pas remis.

Même si la Chine ne tombera certainement pas dans le même piège que le Japon, il est néanmoins clair qu’elle sortira affaiblie du « combat » avec les Etats-Unis. Il ne s’agira peut-être que de quelques années de gagnées avant l’inévitable ascension de l’Empire du milieu au sommet du monde, mais le pari mérite d’être tenté. Dommage que l’Europe ne l’ait pas compris car une union Etats-Unis/Europe aurait eu certainement encore plus d’effets anesthésiants sur la dynamique chinoise et euphorisants pour les économies occidentales…

Marc Touati