Euro trop fort : à qui profite le crime ?

Rien n’y fait : Mario Draghi a eu beau reconnaître, lors de la réunion de politique monétaire de la BCE du 25 janvier 2018, que l’appréciation de l’euro devenait excessive, celui-ci a continué de progresser. Le lendemain, bis repetita. Cette fois-ci, c’est Donald Trump qui se déclare en faveur d’un dollar plus fort, mais, une nouvelle fois, la baisse de l’euro fait pschitt. Pour de nombreux investisseurs, ces évolutions confirment que l’appréciation de l’euro va se poursuivre. Au grand dam de la croissance de l’UEM et de ses principaux membres, à commencer par la France.

Certes, la remontée de l’euro peut apparaître bénéfique pour certains. Il s’agit, tout d’abord, des importateurs, qui bénéficient d’une réduction de la valeur des produits achetés en dehors de la zone euro, et notamment les matières premières et énergétiques. Plus globalement, la remontée de l’euro va réduire l’inflation importée et par là même soutenir le pouvoir d’achat des ménages. Parallèlement, les touristes eurolandais qui quittent les frontières de l’UEM vont également pouvoir bénéficier d’un regain de pouvoir d’achat. Enfin, il en sera de même des expatriés payés en euros et vivant dans un pays hors UEM.

Mais attention, ces petits avantages pourraient très vite s’avérer insignifiants au regard des inconvénients d’un euro trop fort, qui constituerait ainsi une véritable punition pour les pays de l’UEM, à l’exception peut-être de l’Allemagne. Outre Rhin, le niveau d’équilibre de l’euro/dollar (en fonction des fondamentaux économiques) est effectivement de 1,35, contre 1,15 pour la zone euro, 1,05 pour la France et 0,70 pour la Grèce. Rappelons la réalité empirique : à chaque fois que l’euro s’apprécie de 10 % sur une année, il retire 0,5 point à la croissance eurolandaise. Pire, au-delà des 1,30 dollar, ce coût avoisine les 0,8 point.

Les vecteurs de transmission de cette appréciation excessive à l’économie réelle sont au nombre de trois. Primo, le renchérissement abusif des exportations réduit mécaniquement ces dernières et donc l’activité économique, mais aussi les emplois qui vont avec.

Secundo, la diminution du prix des produits importés amoindrit automatiquement la compétitivité des biens fabriqués dans la zone euro et notamment en France qui se retrouvent donc en concurrence déloyale par rapport aux importations. D’où moins d’activité, moins d’emplois, plus de chômage, mois de revenus et moins de consommation…

Tertio, avec un euro trop fort, les acquisitions dans l’UEM deviennent plus chères pour les investisseurs étrangers. A l’inverse, les investissements à l’étranger deviennent plus intéressants, d’où une réduction globale des investissements en zone euro.

D’ailleurs, que ce soit en 2007-2009, puis en 2011-2012, les conséquences de cet euro trop fort ont été dramatiques, puisque la zone euro est entrée en récession dès le deuxième trimestre 2008, que cette récession a été plus forte qu’aux Etats-Unis et que, « grâce », une fois encore, au retour d’un euro trop fort au printemps-été 2009, la reprise eurolandaise a été l’une des plus faibles au monde. De même, en 2011-2013, l’UEM est la seule zone de la planète à être retombée en récession. Merci l’euro fort !

En dépit de ces réalités incontestables, les mêmes erreurs se répètent. Ainsi, alors que la zone euro a enfin retrouvé le chemin d’une croissance supérieure à 2 % en 2017, l’euro s’est apprécié excessivement, cassant d’ores et déjà le rebond de l’économie eurolandaise. Pourtant, en dépit de ce ralentissement déjà en marche, l’euro reste proche des 1,25 dollar.

Le raisonnement sous-jacent est toujours le même, c’est-à-dire consensuel mais erroné. Il s’appuie sur le fantasme selon lequel l’économie américaine irait beaucoup plus mal que celle de la zone euro. Et ce, en particulier depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui, selon certains, pourrait casser la dynamique économique américaine. A l’inverse, grâce à l’élection de « Super Macron », la France et la zone euro seraient sur le point de retrouver une croissance durablement forte et, par là même, de damer le pion aux « méchants » Américains… Ah ! Démagogie, quand tu nous tiens…

Là où le bât blesse c’est que si l’euro continue de s’apprécier, la croissance forte qui devait arriver cette année et qui s’est déjà évaporée à cause de l’euro trop fort du second semestre 2017, pourrait se transformer en stagnation. Avec des conséquences évidemment dramatiques en termes d’emplois et de déficit public. D’où un retour en force des crises de la dette publique en Grèce, en Italie… et aussi en France.

Encore plus grave, les crises sociales qui se sont installées un peu partout dans la zone euro, et qui sont pour le moment endormies à coup de doses massives de morphine injectées par la BCE, reprendront du poil de la bête, engageant la plupart des pays eurolandais dans une situation politique de plus en plus difficile.

La réappréciation de l’euro est donc particulièrement dangereuse. Néanmoins, il ne sert à rien de se battre contre le vent. Et ce d’autant que les Etats-Unis ne veulent prendre aucun risque sur leur croissance et sont amplement satisfaits de pouvoir profiter encore d’un dollar relativement faible sur le dos des Européens. Le mouvement spéculatif sur l’euro/dollar a donc encore de beaux jours devant lui.

Dans ce cadre, l’euro devrait se stabiliser autour des 1,25 dollar pendant encore quelques semaines, voire se rapprocher des 1,30. Il sera alors temps d’acheter du dollar, car, ensuite, compte tenu du rapide retour en arrière de la croissance eurolandaise, l’euro reviendra vers 1,05, voire 1,00 dollar.

Malheureusement, tant que les Eurolandais préféreront être les dindons de la farce, il faudra continuer à composer avec une forte volatilité de l’euro/dollar, qui n’arrangera évidemment pas la situation économique et politique de la zone euro…

Marc Touati