Jusqu’ici, tout va bien, mais demain ?

Oui, pour le moment, tout va bien ! Tout va même de mieux en mieux, à en croire certains. Et pour cause : la croissance dans la zone euro et en France n’a jamais été aussi forte depuis 2011 et les créations d’emploi commencent à se multiplier. A tel point que de nombreux instituts de conjoncture annoncent de belles performances économiques pour les trimestres, voire les années, à venir. Magnifique !

Seulement voilà, comme l’expérience nous l’a souvent montré et comme nous n’avons d’ailleurs cessé de l’écrire depuis des années, le consensus a très souvent tort. Autrement dit, c’est lorsque tout le monde pense la même chose qu’il faut commencer à s’inquiéter. Et ce, en particulier lorsque les prévisions du FMI, de la BCE et de la Commission européenne convergent. Il serait par exemple utile de rappeler qu’en 2007 et jusqu’au début 2008, ces trois institutions soulignaient que l’économie eurolandaise se portait à merveilles et lui prévoyaient une croissance soutenue pour 2008-2009, accompagnée d’une forte inflation. C’est d’ailleurs en partie à cause de ce dynamisme annoncé que la BCE a augmenté ses taux directeurs fin 2007 et jusqu’en juillet 2008. Mieux, dans la plupart de ses rapports de 2006 à 2008, la Commission européenne et le FMI ne cessaient d’encenser la réussite économique de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce !

A l’évidence, il aurait été difficile de faire pire. C’est pourtant ce qui s’est produit lorsqu’en 2011 ces institutions annonçaient le fort redémarrage de la croissance dans la zone euro, la BCE joignant même le geste à la parole, en remontant par deux fois son taux refi. Si le passé est mort et s’il ne sert pas à grand-chose de remuer le couteau dans la plaie, ces erreurs consensuelles de prévisions rappellent néanmoins qu’il faut prendre les dernières annonces du FMI, de la BCE, de la Commission européenne et a fortiori de Bercy avec beaucoup de précaution.

N’ayons pas peur d’aller jusqu’au bout du raisonnement : les prévisions relativement favorables de ces institutions ou encore les affirmations des dirigeants politiques et monétaires européens selon lesquelles il n’y aurait absolument pas de bulle obligataire ni boursière constituent d’excellents indicateurs avancés de ce qui va se produire, mais en sens inverse. Dès lors, si, comme le craignons, la réalité s’avère loin de ces prévisions idylliques, les marchés financiers pourraient sur-réagir et connaître de multiples tempêtes, préfigurant un krach éminemment dangereux.

Au-delà de dégonfler les bulles obligataires et boursières qui se sont formées ces dernières années, ce krach clôturerait la fin d’un monde déjà engagée depuis la crise de 2008-2009. Ce nouveau krach pourrait ainsi constituer le « big one » tant redouté sur les marchés. Car si un krach se produit cette année ou en 2018, la croissance mondiale s’effondrera. Or, les autorités monétaires et budgétaires internationales ont déjà utilisé toutes leurs cartouches pour tenter de relancer la machine. D’où une question simple : que se passera-t-il le jour d’après ?

Dans une de ses recommandations de 2013, le FMI a déjà annoncé la couleur : taxer les dépôts bancaires et l’épargne sur livret au sens large, à hauteur de 10 % au-delà d’un certain seuil, par exemple 100 000 euros. Autrement dit, tous les ménages et les entreprises disposant de plus de 100 000 euros sur n’importe quel type de comptes bancaires se verraient ponctionner 10 % de leur « surplus ». Et ce, « overnight », c’est-à-dire du jour au lendemain et sans sommation.

Cela ramènerait par exemple plus de 600 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat français. A l’évidence, la tentation est forte. Et lorsqu’on entend certains hommes politiques ou économistes souligner à répétition que les Français sont riches, que leur patrimoine dépasse les 14 000 milliards d’euros (dont environ 7 000 milliards d’euros d’épargne financière, donc non-immobilière et par là-même facilement « ponctionnable »), on comprend que cette mesure d’urgence est déjà dans les tuyaux et qu’elle se produira immanquablement lors de la prochaine grave crise.

D’où trois grands enseignements. Primo, la mise en pratique de ce bazooka ne pourra se faire qu’une fois. Elle engendrera effectivement un fort mouvement de fuite de capitaux vers des pays moins confiscatoires et finira par affaiblir les autres. Pour limiter ces fuites, les pays engageant une telle mesure ne manqueront d’ailleurs certainement pas d’instaurer le contrôle des changes, c’est-à-dire de fermer les frontières et de limiter drastiquement les sorties de capitaux. C’est d’ailleurs ce qu’avait décidé le gouvernement Mitterrand lors de la relance de 1981. Mais, à l’époque, les mouvements internationaux de capitaux étaient encore relativement faibles. En outre, plus de 80 % de la dette publique française était détenue par des investisseurs nationaux. Le contrôle des changes était alors plus symbolique que prohibitif.

De nos jours, la situation est bien différente. Tout d’abord, si la France veut continuer de respecter les pactes européens et les règles de l’OMC, il lui est interdit de pratiquer un contrôle des changes. Si elle le faisait, elle créerait un clash politique au sein de la zone euro et à l’échelle de la planète. De plus, souvenons-nous qu’environ 60 % de la dette publique française est actuellement détenue par des investisseurs étrangers. Interdire la sortie des capitaux du territoire nationale reviendrait donc à se priver d’une large partie du financement de notre dette. Ce qui se traduirait par une forte augmentation des taux d’intérêt, d’où une nouvelle phase de récession, d’augmentation du chômage, des déficits publics, de la dette…

D’où notre secundo, à savoir : rien ne prouve que la ponction de 10 % sur les comptes d’épargne permettra de relancer durablement la croissance et de réduire durablement les déficits publics. Bien au contraire, puisqu’elle pourrait aggraver encore la récession dans les pays ayant fait ce triste choix. Il s’agira donc d’un fusil à un coup particulièrement inefficace.

Tertio, mieux vaut prévenir que guérir. Autrement dit, même si pour le moment tout va bien et même si la prochaine crise paraît loin, il serait plus prudent, pour ceux qui le peuvent, de limiter les dépôts sur comptes, sur livrets et sur tous types de produits d’épargne à 100 000 euros, quitte à en multiplier le nombre. Nous savons donc ce qu’il nous reste à faire. Il ne faudra pas se plaindre lorsqu’il sera trop tard…

Marc Touati