Banques, Bourses, Chine : soft ou hard landing ? (E&S n°286)

Humeur :

Vers une nouvelle crise bancaire en Europe ?

Depuis quelques mois, tous les yeux sont rivés sur la fameuse Union bancaire européenne. Souvent présentée comme une révolution qui devrait protéger l’Europe de toute nouvelle menace, celle-ci risque pourtant bien d’accoucher d’une souris, surtout lorsque l’on prend en compte la réticence (justifiée) des Allemands à devoir (une fois encore) payer pour tout le monde…

Mais au-delà de cette vraie fausse révolution (les dirigeants politiques européens n’en sont plus à un mensonge près), le vrai danger pour l’Europe bancaire réside dans une nouvelle crise d’aggravation des créances douteuses qui pourrait voir le jour dans les prochains mois.

D’ailleurs, si elle est presque passée inaperçue, l’annonce d’une perte de 14 milliards d’euros par la première banque italienne Unecredit montre que la crise bancaire européenne est loin d’être terminée. Et pour cause : la quasi-totalité de cette perte s’explique par une provision de 13,7 milliards d’euros pour créances douteuses et dépréciations de survaleurs. Cela rappelle de bien mauvais souvenirs… Bien entendu, il pourrait être possible de voir dans cette « opération vérité » un signal de clarification à la veille de l’application des « stress tests » (Asset Quality Review) de la Banque Centrale européenne à l’ensemble du secteur bancaire italien.

Pour autant, l’ampleur de ces créances douteuses rappelle que « le ménage » n’a pas forcément été bien fait dans les banques italiennes, mais aussi dans celles de l’ensemble de l’Europe. Certes, ces dernières ont bénéficié de l’aide pléthorique de la BCE depuis 2009 et surtout depuis la fin 2011 avec le début des opérations non-conventionnelles et encore en 2013 avec la double baisse du taux refi, désormais à 0,25 %. De la sorte, elles ont pu se livrer à leur métier de transformation en toute tranquillité, se finançant à court terme à 0 % pour placer sur des produits obligataires bien mieux rémunérés.

Cependant, au-delà de ce cadeau sans limite, les banques européennes ont également dû faire face à deux handicaps. D’une part, des règles prudentielles de plus en plus contraignantes. D’autre part, une croissance économique historiquement faible. Bien plus grave, le premier handicap n’a cessé d’alimenter le second. En effet, pour respecter les nouveaux ratios de solvabilité, qui accroissent le besoin en fonds propres en fonction du risque des engagements, les banques ont été contraintes d’accroître leurs achats d’obligations d’Etat au détriment des crédits au secteur privé. Elles ont donc alimenté un effet d’éviction des financements privés au profit de ceux réservés au secteur public.

A la rigueur, si la dépense publique avait réussi à créer une croissance forte et durable, l’impact de cet inconvénient aurait pu rester limité en durée et en ampleur. Malheureusement, comme cela s’est particulièrement bien observé dans l’Hexagone, l’augmentation des dépenses publiques a été incapable de restaurer une croissance vigoureuse. Bien au contraire, elle a alimenté la mollesse économique.

Or, l’une des conséquences inévitables de la croissance faible réside dans l’augmentation du risque de défaut et par là même des créances douteuses. C’est alors que le cercle pernicieux devient infernal, dans la mesure où cette fragilisation du bilan des banques réduit encore l’octroi de crédits à l’économie, donc alimente la croissance molle, puis le chômage, mais aussi les déficits publics…

Dès lors, après les ratios de solvabilité et l’atonie économique, les banques vont devoir faire face à un troisième danger, en l’occurrence la dégradation des obligations d’Etat. Car, si depuis environ un an, les marchés et les investisseurs veulent croire que la crise de la dette publique eurolandaise est terminée, il n’en est rien.

Pour le prouver il suffit de rappeler qu’en 2013, à l’exception de l’Allemagne et du Luxembourg, aucun pays de la zone euro n’a réussi à dégager une croissance économique en valeur (c’est-à-dire augmentée de l’inflation) suffisamment forte pour assurer le paiement des intérêts de la dette publique. Et ce, dans la majorité des cas, pour la sixième année consécutive et bientôt la septième, puisqu’il en sera de même en 2014.

Dans ce cadre, après avoir été anormalement bas, en particulier dans l’Hexagone, les taux d’intérêt des obligations souveraines pourraient bien subir une forte hausse, engendrant mécaniquement des moins-values sur les portefeuilles obligataires.

Après avoir dû constituer des provisions pour créances douteuses du secteur privé, les banques italiennes, françaises, européennes, et mondiales pourraient donc bien devoir rééditer l’opération, mais, cette fois-ci, pour des créances accordées au secteur public, qu’il s’agisse des obligations d’Etat ou des crédits accordés aux collectivités locales.

Or, un tel scénario n’est pour l’instant pas vraiment intégré dans les « stress tests » de la BCE. Sans parler des risques sur les pays émergents et sur la situation géopolitique mondiale. Voilà pourquoi, nous estimons que même si les banques européennes ont réduit leurs activités dangereuses (et notamment le « property trading », c’est-à-dire la spéculation avec leurs fonds propres) et bénéficient encore d’une politique monétaire extrêmement accommodante, elles restent toujours menacées par une croissance économique trop faible, une dette publique trop élevée et un risque de remontée massive des taux d’intérêt des obligations d’Etat.

En conclusion, même si, pour l’instant, la situation apparaît sous contrôle, la probabilité d’une nouvelle crise bancaire demeure élevée. Ce qui signifie qu’après trois belles années en termes de profits et de valorisation boursière, les banques européennes pourraient connaître une année 2014 de vache maigre. Ce qui nous amène donc à conseiller de prendre ses bénéfices et de s’alléger sur ce secteur en attendant des jours meilleurs en 2015. Ne l’oublions jamais : ce qui est pris n’est plus à prendre…

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Chine : soft ou hard landing ?


Il n’y a pas si longtemps, la Chine affichait encore des taux de croissance à deux chiffres. Pourtant depuis quelques années, son rythme de progression tend à ralentir. Et un grand nombre d’observateurs s’interroge ; mais que se passe-t-il avec la Chine ? La réponse est en fait très simple et tient en trois mots ; le pays atterrit. Reste donc seulement à savoir s’il faut privilégier un scénario de type soft landing ou crash landing.

Un ralentissement économique…

En 2013, l’économie chinoise reproduisait sa performance de 2012. Le pays affichait en effet un taux de croissance du PIB de 7,7%. Je devine dès lors ce que vous vous dites ; un tel taux demeure élevé relativement à ce qui se pratique dans les pays occidentaux. Oui vous avez bien raison. Mais rendez-vous compte néanmoins, il s’agit d’un plus bas en treize années pour un pays qui, pendant toute une décennie, était coutumier d’une dynamique de croissance à deux chiffres.

D’abord l’élément inquiétant. Durant tout le premier semestre 2013, la croissance chinoise n’a cessé de poursuivre sa décélération entamée en 2011. La morosité de la conjoncture aux Etats-Unis et en Europe a en effet participé à rouiller le principal moteur de croissance du pays, à savoir ses exportations. Par ailleurs, dans l’industrie manufacturière, la hausse des salaires de l’ordre de 15% en moyenne par an a contribué a grevé la compétitivité des firmes chinoises à l’international provoquant ainsi un recul de leurs investissements industriels.

Vient alors l’élément rassurant. La capacité des autorités chinoises à réagir. Au troisième trimestre en effet, le gouvernement lança un mini plan de relance reposant sur trois axes ; l’arrêt de la fiscalité sur les petites entreprises afin de sauvegarder les marges, la compétitivité et l’emploi, l’assouplissement des contraintes administratives et la mise en place d’une politique de grands travaux dans les infrastructures urbaines. Très vite alors, les doutes quant à l’atteinte d’un taux de croissance cible de 7,5% en 2013 se dissipèrent et le pays présenta une croissance supérieure à la cible initiale.

La réactivité, probablement l’élément qui a sauvé le pays d’une déconvenue inédite depuis bien longtemps. Une réactivité qui semble toutefois trouver ses limites. Car même si la croissance du pays a été dopée au cours du quatrième trimestre 2013, les statistiques parues au cours des dernières semaines s’avèrent de nouveau préoccupantes. A titre d’illustration, l’indice PMI manufacturier du pays s’est établi en février à 48,3, soit un plus bas depuis sept ans. Pire, les chiffres du commerce extérieur publiés le 8 mars dernier font état d’une balance commerciale déficitaire en février de 23 milliards de dollars alors même que le marché anticipait un excédent de 14 milliards de dollars.

Dans ce contexte, que faut-il attendre pour l’exercice 2014 ? A en croire les prévisions du gouvernement chinois, la même chose. A l’instar de l’année dernière en effet, la cible de croissance a été fixée à 7,5%. Toutefois, les autorités affichent désormais une volonté de rééquilibrer le modèle économique du pays pour le rendre moins dépendant des aléas conjoncturels de ses partenaires commerciaux. La folle expansion des exportations de ces dernières années devrait donc se tarir au profit d’une hausse de la consommation des ménages.

… qui s’accompagne de fortes tensions financières

Mais déjà l’objectif du gouvernement s’annonce ambitieux. Car si les fondamentaux de l’économie chinoise demeurent solides, le pays doit néanmoins faire face à des failles, notamment dans son secteur financier réputé vulnérable.

En effet, en seulement quelques années, de nombreuses régions du pays ont été prises d’un syndrome de mégalomanie aigüe se traduisant par la matérialisation de projets immobiliers délirants. Il y a bien évidemment ces tours qui ne cessent de pousser dans les grandes métropoles. Mais il y a aussi des projets bien plus exotiques tels que cet arc de triomphe à Jingjinou, ou encore cette tour Eiffel de cent mètres de haut à Tiandu.

Se pose alors la question du financement de ces projets. Désormais, la Chine est une puissance mondiale, et hélas, elle se comporte comme telle. Le pays est en effet progressivement tombé dans le péché originel de l’endettement à outrance comme en témoigne la trajectoire de sa dette publique qui s’élève officiellement à 58% du PIB contre 17% quatre ans plus tôt. Pire, la dette cumulée des secteurs public et privé atteint environ 215% du PIB contre 131% en 2008.

Pour un pays dit émergent, ces chiffres ont de quoi donner le tournis à n’importe quel observateur, avisé ou non. Mais justement, c’est là que se trouve l’anomalie. Car en fait, cela fait bien longtemps que La Chine a émergé. A ce titre elle doit faire face à des problèmes à la mesure de sa grandeur ; ralentissement de la croissance, certes, mais aussi risque de bulle financière ou bien encore dérive de la finance. Et c’est justement ce dernier point qui est le plus effrayant.

Depuis la crise américaine, les banques chinoises ont développé une aversion au risque sans précédent, élément permettant notamment d’expliquer l’atonie croissante de la demande intérieure. Mais le désir insatiable de bâtir devait néanmoins trouver un financement. Les prêts hors des circuits traditionnels ont donc explosé et la finance parallèle est devenue progressivement incontrôlable.

Si par définition les chiffres liés au chinese shadow banking sont flous, certaines études indiquent que la finance de l’ombre pourrait peser pour 45% du PIB chinois. Une opacité qui tend néanmoins à inquiéter. Les banques du pays tendent à devenir de plus en plus suspicieuses vis-à-vis de leurs homologues et de véritables tensions apparaissent. Par deux fois ainsi en 2013, le marché interbancaire a connu des envolées de taux à des niveaux proches de 10%, nécessitant l’intervention de la Banque populaire de Chine, la banque centrale du pays, au travers d’injections de liquidités massives à court terme.

Un scénario à la Lehman Brothers est-il alors possible ? Difficile de répondre. Tout d’abord parce qu’à la différence des Etats-Unis, le gouvernement chinois contrôle quasi totalement son système bancaire. Mais également parce qu’il y a un manque évident (et probablement voulu) de transparence du système financier chinois.

De quelle nature sera donc l’atterrissage ?

La nébuleuse financière chinoise a fait naître d’importantes inquiétudes quant à l’avenir du pays. Mais bien que ces doutes soient fondés, la Chine ne pliera pas. Car il y a un point important qui ne doit pas être passé sous silence, à savoir le montant des réserves de change du pays. Estimées à 3820 milliards de dollars, elles constituent un véritable trésor de guerre, capable d’amortir les effets de n’importe quelle crise. Et c’est précisément cet élément qui fait que la Chine n’a plus rien de comparable avec les Etats occidentaux en déclins (Grèce, Italie et peut être bien la France), les économies émergentes (Inde, Russie et Brésil) et même les Etats-Unis.

Le risque de crise financière étant atténué, comment s’explique alors le ralentissement économique du pays ? Pour tenter d’apporter un début de réponse, il convient d’adopter deux points de vue. Premièrement le court terme. Les mauvais chiffres dernièrement publiés, et largement commentés, sont en fait le reflet du Nouvel an lunaire débuté fin janvier. A l’occasion de cet évènement en effet, il est de coutume que les travailleurs migrants rentrent dans leur région d’origine et qu’une grande partie des usines et commerces cessent temporairement leur activité. Ce phénomène de contraction de l’activité est d’ailleurs observable chaque année.

Deuxièmement le long terme. Pour comprendre le ralentissement structurel de l’économie chinoise, il faut se tourner vers les théories économiques de la croissance. Et dans ce domaine, le pionnier s’appelle Robert Solow. En 1956, l’économiste américain montra en effet que plus un pays est loin de son état stationnaire, plus son taux de croissance est élevé ; c’est le principe de rattrapage, appelé également béta convergence. Ainsi, selon ce modèle, la Chine a vécu des années de croissance formidable liées à la béta convergence ; à présent néanmoins, l’économie devient quasi mature et tend à se rapprocher de son état stationnaire, synonyme d’une croissance plus mesurée.

La Chine est donc tout simplement dans un processus de normalisation de son économie. Et à l’instar des autres pays développés, elle doit désormais traiter des problèmes de riche. Car l’inimaginable hier devient aujourd’hui une réalité. En témoigne notamment la faillite du géant des panneaux solaires Chaori Solar Energy Science & Technology, ou encore la grève d’un millier d’ouvriers d’une usine d’IBM de Shenzhen.

Atterrissage en douceur ou atterrissage en catastrophe ? Au risque de vous décevoir, il est encore trop tôt pour répondre à cette délicate question. Une chose est néanmoins certaine ; les choses changent et le monde bouge. Dans ce contexte, l’Histoire de l’atterrissage contraint de la Chine qui s’écrit actuellement sous nos yeux se révèle passionnante.

 

Anthony Benhamou

 

 



Les évènements à suivre du 17 au 21 mars :


L’inflation baisse encore aux Etats-Unis.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :