Cac 40, Chômage, PIIGS : paradoxes… (E&S n°284)

Humeur :

Le Cac 40 et les profits progressent, mais le chômage aussi…

Cette semaine a été marquée par deux évènements majeurs sur le front de l’économie française. D’une part, les profits des entreprises du Cac 40 et le niveau de ce dernier ont nettement progressé. D’autre part, le nombre de chômeurs a atteint un nouveau sommet historiques : 3,316 millions de personnes de catégorie A en métropole et 5,228 millions en englobant l’ensemble des catégories de chômeurs A, B, C ainsi que les départements d’outre-mer.

Face à ce contraste douloureux entre des marchés boursiers heureux et des chômeurs français de plus en plus nombreux, la tentation pourrait être grande de mettre en cause les dérives du capitalisme et de souligner que si les entreprises du Cac 40 se portent bien c’est justement parce que le chômage augmente. En d’autres termes, aux armes citoyens, la lutte des classes doit s’intensifier, tous à la Bastille…

Si ce raccourci est évidemment facile, il n’en est pas moins erroné. Et pour cause : si les profits des entreprises du Cac 40 augmentent c’est parce que près de 80 % de ces derniers sont réalisés à l’étranger. A l’inverse, la grande majorité des PME franco-françaises voient leurs profits stagner et souvent régresser. Sans parler de celles qui mettent la clé sous la porte. Autrement dit, il n’y a pas de spoliation des Français par les entreprises, mais simplement un accroissement de l’activité de ces dernières en dehors de l’Hexagone. Pourquoi ? Tout simplement, parce que la pression fiscale et le coût du travail y sont trop élevés, mais aussi parce que la croissance et la confiance y sont trop faibles.

C’est d’ailleurs pour ces mêmes raisons que le nombre de chômeurs ne cesse de battre des records. Les quelques emplois aidés, hier pour les jeunes et demain peut-être pour les « séniors », ne sont que des palliatifs qui masquent la gravité de la situation. Pis, ces aides créent des « poches à précarité », condamnant les moins de vingt-cinq ans à des emplois jeunes mal rémunérés et reléguant les plus de cinquante-cinq ans dans la pré-retraite et/ou des voies de garage.

Même si les dirigeants politiques français refusent de l’admettre depuis des années, il faut bien comprendre que tant que la croissance ne dépassera pas durablement 1,5 %, il sera quasiment impossible de baisser significativement le chômage. Et ce d’autant que les rigidités du marché du travail agissent comme un frein à l’embauche et dissuadent les entreprises de créer des emplois, par peur des coûts et des contraintes que ces derniers pourraient engendrer.

Dans ce cadre, déjà caduques l’an passées, les promesses de faire reculer le chômage d’ici la fin 2014 sont tout aussi irréalistes. C’est triste à dire, mais le nombre de chômeurs de catégorie A avoisinera les 3,5 millions de personnes en France métropole d’ici la fin 2014 et les 5,5 millions pour les catégories A, B, C avec les départements d’outre-mer.

En effet, de la même façon que le CICE n’a eu que très peu d’impact sur l’activité et les créations d’emploi, le pacte de responsabilité sera tout aussi vain. Non seulement parce que sa mise en pratique paraît hautement compliquée, mais surtout parce qu’il sera vidé de sa substance avant même d’avoir vu le jour. D’ores et déjà, la réduction des charges et des dépenses publiques promise par le Président Hollande semble vouée à l’Arlésienne.

Ce qui est le plus troublant c’est qu’en dépit des échecs successifs de sa politique économique, le gouvernement français continue d’appliquer les mêmes recettes, basées exclusivement sur des effets d’annonce et du marketing, en espérant que la « providence » fera jaillir la croissance forte… Cela fait trente ans que ces méthodes absurdes sont appliquées, avec les résultats que l’on sait. Pourtant, elles continuent de perdurer. La seule différence c’est qu’aujourd’hui, cette attitude burlesque commence vraiment à faire désordre, d’autant que la France est devenue l’un des derniers pays du monde développé à refuser de se réformer en profondeur.

Après les analyses accablantes de Standard and Poor’s et de Moody’s (cette dernière ayant néanmoins refusé de dégrader la note de la France, par on ne sait quel miracle et en dépit du bon sens), la Commission européenne vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle ne croyait aucunement aux promesses gouvernementales de réduction des déficits publics et donc de la dette. Encore plus troublant, la Commission a annoncé qu’elle prévoyait un déficit français de 4 % du PIB en 2014, tout en relevant sa prévision de croissance hexagonale à 1 %. Cela signifie donc qu’elle ne base pas ses conclusions de dérapages budgétaires sur une activité en berne, mais sur le non-respect des promesses gouvernementales de réduction des dépenses publiques.

Lorsque l’on voit les dernières données d’enquêtes (PMI et INSEE) faisant état d’une stagnation voire d’une baisse du PIB aux premier et deuxième trimestres 2014, on imagine l’étendue des dégâts si la croissance n’atteint pas 1 % en 2014. Pis, la chute de 2,1 % de la consommation des ménages français en janvier 2014 indique qu’une baisse du PIB pourrait bien avoir lieu dès le premier trimestre.

Dans ce contexte de piètre crédibilité de la politique économique française, on peut aisément comprendre pourquoi les entreprises nationales, grandes, moyennes, mais aussi petites, vont encore accroître leurs investissements à l’étranger et augmenter la part de leur profit à l’extérieur de notre douce France. Dès lors, il est malheureusement inévitable que le fossé entre un Cac 40 relativement bien-portant et l’aggravation du chômage dans l’Hexagone va encore se creuser.

Dans la mesure où la culture économique des Français demeure faible et continuera de le rester grâce au travail acharné de l’establishment politique et médiatique bien-pensant, un tel décalage servira bien entendu les idées extrémistes en tous genres et fera peser un risque de crise sociétale majeure dans les prochains mois.

Le Président Hollande et le gouvernement en sont forcément conscients. Alors qu’attendent-ils pour réagir ? Comme le disait en son temps Raymond Barre à qui on reprochait (déjà !) de ne pas avoir assez réformé le pays lorsqu’il était premier ministre : « les Français ne souffrent pas assez ! » Faut-il donc connaître une crise « à la grecque » pour enfin réagir ? Peut-être. Mais une question se pose alors : la société française sortira-t-elle indemne d’un tel tsunami ? Plutôt que d’attendre la réponse, il serait bien plus opportun d’agir tout de suite…

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Les PIIGS, ces nouveaux eldorados des marchés financiers…


Les Etats de la périphérie européenne attirent de nouveau les investisseurs. Qui l’eut cru ? Il y a encore deux ans en effet, de nombreux observateurs anticipaient un scénario catastrophe de type « Grexit » (une combinaison des termes « Greece » et « Exit ») synonyme d’échec du projet d’union monétaire. Aujourd’hui pourtant, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et même la Grèce sont devenus les nouveaux eldorados des marchés. Ce regain d’intérêt pour les pays d’Europe du sud est-il alors véritablement justifié ? Pas sûr…

Une contrée fabuleusement riche en signaux positifs

La tourmente actuelle dans les économies émergentes semble faire oublier les difficultés des pays d’Europe du sud. Mieux, ces derniers retrouvent progressivement une certaine crédibilité sur la scène internationale. Considérés hier encore comme des « cochons », leur contrainte financière tend aujourd’hui à se desserrer.

En témoigne ainsi la détente observée sur les marchés obligataires à dix ans au cours de ces dernières semaines. L’Irlande emprunte actuellement à 3,58%, l’Espagne à 3,55% et l’Italie à 3,67%. Le Portugal finance pour sa part sa dette à un taux de 4,85%, un plus bas depuis août 2010. Enfin, même la Grèce dont le taux excédait pourtant 30% en 2012 semble être devenue attractive à 7,40%

Cette détente des taux trouve son origine notamment dans l’évolution de l’appréciation du risque souverain par les agences de notation. Car à l’exception de la Grèce, les pays d’Europe du sud semblent enfin être montés dans le train de la reprise économique. Après avoir connu de sévères récessions, ils affichent en effet des taux de croissance positifs, parfois même supérieurs aux pays dits du nord de l’Europe.

Le 21 février dernier, l’agence Moody’s relevait ainsi la note espagnole d’un cran de Baa3 à Baa2, l’accompagnant au passage d’une perspective positive (comprenez une possible amélioration de sa note dans les mois à venir). Le même jour, Fitch confirmait la note de l’Irlande à BBB+ assortie d’une perspective stable. Enfin quelques jours plus tôt, la perception du risque italien s’estompait également avec une révision par Moody’s de sa perspective, de négatif à stable.

La volonté affichée par les gouvernements des pays d’Europe du sud de s’affranchir des plans d’aide internationaux participe en outre à la détente des taux souverains. L’Irlande est la première nation européenne à avoir amorcé le mouvement. Le 15 décembre dernier en effet, l’ancien tigre celtique s’est officiellement délivré de la tutelle financière de la troïka (FMI, BCE et Union européenne) pour effectuer un retour en fanfare sur les marchés.

Très vite, Madrid a emboité le pas à Dublin ; le 23 janvier 2014 en effet, l’Espagne est sortie de son plan de sauvetage pour ses banques qui avait été mis en place au printemps 2012 par la zone euro. Et c’est désormais au tour du Portugal d’afficher sa détermination quant au fait de retrouver une parfaite autonomie financière. Le pays escompte en effet une fin de tutelle de la part de ses créanciers au mois de mai prochain pour pouvoir retrouver un plein accès au marché sans filet de sécurité.

L’ensemble de ces éléments constitue bien évidement des signaux positifs pour les investisseurs internationaux. Vous rendez-vous compte du chemin parcouru ? Un sentiment de confiance s’installe progressivement sur les marchés qui veulent désormais croire en des jours meilleurs pour la zone euro et en particulier pour les PIIGS. Après le scepticisme, place à l’optimisme.

Même le très célèbre George Soros l’affirmait le 23 février dernier au journal allemand Der Spiegel ; « je veux croire à l’euro ». L’homme d’affaires a en effet annoncé que son fonds d’investissement étudiait sérieusement la possibilité de revenir en Europe pour « faire beaucoup d’argent assez rapidement ». Si l’Espagne, l’Irlande et le Portugal devraient être des zones privilégiées, Soros affirme également la possibilité d’opportunités en Grèce où « les conditions économiques se sont améliorées ».

Attention, le chemin vers une véritable normalisation est encore long

Alors qu’un vent d’euphorie souffle sur les Etats d’Europe du sud, certains observateurs évoquent déjà la notion de miracle des périphériques. Il faut dire en effet que les marchés aiment trouver de nouvelles thématiques d’investissement. Et la tourmente des émergents a propulsé les PIIGS sur le devant de la scène.

Un concours de circonstance ? Certainement. Car si en apparence les périphériques offrent des opportunités, il est pour l’heure prématuré, voire déplacé, d’évoquer un quelconque miracle. La reprise que connaissent les Etats du sud de l’Europe demeure en effet logique (les PIIGS sont descendus tellement bas qu’un rebond technique s’imposait), balbutiante et surtout menacée.

Car les taux de chômage atteignent des niveaux records. A titre d’illustration, en novembre dernier la Grèce comptait 28% de chômeurs, l’Espagne 26,7%, le Portugal 15,5% et l’Irlande et l’Italie un peu plus de 12%.

Or le fléau du chômage de masse constitue un risque économique important en ce sens qu’il freine durablement la demande intérieure des pays. Les ménages perdent en effet du pouvoir d’achat et doivent faire face à une contrainte budgétaire ultra serrée. Les entreprises sont quant à elles confrontées à une sévère contrainte sur leurs débouchés et entrent dans des processus de désinvestissements.

Dès lors, la hausse du chômage s’auto-entretien et engendre un ajustement à la baisse des prix qui, conjugué à un jeu d’anticipations miroirs, est susceptible de faire basculer les périphériques européens dans la déflation. Il convient d’ailleurs de noter que la Grèce est déjà dans une telle situation.

Le chômage de masse fait en outre peser un risque social non négligeable. Les populations sentent bien en effet que les choses sont en train de changer. Toutefois, elles n’ont pas l’impression de bénéficier concrètement de la reprise économique alors même qu’elles se sont livrées à de douloureux efforts, souvent d’ailleurs reconnus et salués.

Or, à l’heure où certains pays se délivrent de leurs chaînes (ou sont sur le point de le faire), l’austérité se poursuit tandis que le sentiment eurosceptique progresse. Car la crise de la dette n’est hélas pas terminée. L’assainissement des finances publiques doit en effet se poursuivre tant l’endettement des Etats est élevé. Le ratio dette publique sur PIB atteint par exemple 171% en Grèce, 133% en Italie, 129% au Portugal, 125% en Irlande et 94% en Espagne.

Force est donc de conclure que si les Etats du sud de l’Europe rencontrent encore des difficultés, ils se trouvent néanmoins sur le bon sentier. Et ce point constitue une excellente nouvelle au regard de la situation de 2012. Progressivement en effet, ils tendent à se laver du pêché originel et retrouvent du crédit sur le plan international, bien aidé il est vrai par l’action de Mario Draghi à la BCE.

Les marchés sont optimistes et ils ont, en partie seulement, raison. Car il faut rester prudent. Le chemin vers la normalisation est en effet encore long et semé d’embuches. Que se passerait-il par exemple si le mécanisme de l’OMT était jugé inconstitutionnel par la cour de justice de l’Union européenne ? Un « rien » semble effectivement pouvoir faire basculer un équilibre encore très fragile…

 

Anthony Benhamou

 

 



Les évènements à suivre du 3 au 7 mars :


Vers une stabilisation du taux de chômage outre-Atlantique.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2014 :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf