France, Zone Euro, Japon : la crise rôde toujours… (E&S n°283)

Humeur :

France et zone euro : eh bien non, la crise n’est toujours pas finie…

Avec la publication des comptes nationaux du quatrième trimestre 2013 en France et dans la zone euro, de nombreux dirigeants politiques, économistes et autres beaux parleurs en tous genres n’ont pas hésité à reprendre en cœur le tube de l’été dernier « la crise est finie ! ». Pour justifier leur bonne humeur, ceux-ci se contentaient de mettre en exergue l’évolution du PIB au dernier trimestre 2013 : + 0,3 % tant pour la France que pour la zone euro. Comme dirait l’autre et comme nous l’avons dernièrement écrit pour saluer la nouvelle histoire d’amour apparente entre le Président Hollande et le monde de l’entreprise : « formidable ! »

Seulement voilà, les faux-semblants ont la vie dure et se contenter de regarder dans le rétroviseur pour prévoir l’avenir n’a jamais été très efficace. Les économistes et analystes bien-pensants devraient pourtant le savoir : extrapoler les évolutions passées pour anticiper l’avenir est une erreur de construction.

Pour tenter d’établir des prévisions fiables, il faut bien entendu partir du passé mais en introduisant des éléments nouveaux, que l’on appelle des indicateurs avancés. Ainsi, dire que la consommation des ménages va continuer de croître significativement tout simplement parce qu’elle a augmenté de 0,5 % au quatrième trimestre 2013 n’a tout simplement aucun sens. En revanche, il est beaucoup plus opportun d’annoncer que le maintien d’un chômage élevé, la faiblesse des revenus des particuliers et une confiance de ces derniers en berne vont jouer à la baisse sur la consommation privée au cours des prochains trimestres.

De même, comment tabler sur une hausse des investissements et des exportations, alors que l’euro reste trop fort, que la pression fiscale est prohibitive et que le moral des chefs d’entreprise demeure très bas ?

A cet égard, les dernières enquêtes des directeurs d’achat en France et dans la zone euro ont apporté des enseignements essentiels. Certes, à l’échelle de l’UEM, ces indicateurs avancés de l’activité économique restent au-dessus de la barre des 50, qui est censée représenter la frontière entre la croissance et le repli de la marche des affaires.

Ainsi, en février 2014, avec des niveaux de 51,7 dans les services (contre 51,6 en janvier) et 53,0 dans l’industrie (contre 54,0 en janvier), il n’y a pas péril en la demeure. Pour autant, la nette tendance haussière des mois précédents a été stoppée. En fait, les niveaux actuels de ces indicateurs indiquent que la croissance du PIB eurolandais devrait se stabiliser autour des 1 % sur l’ensemble de l’année 2014.

De plus, n’oublions pas que la résistance apparente de l’activité eurolandaise s’explique principalement par la vigueur de l’économie allemande. Outre-Rhin, avec un niveau de 55,4 dans les services et de 54,7 dans l’industrie (en baisse tout de même de 1,8 point par rapport à janvier), les indices PMI montrent que la croissance va rester forte, proche des 2 % en 2014. Partout ailleurs dans la zone euro, les indicateurs des directeurs d’achat sont bien moins bons et montrent que la croissance se maintiendra sur des niveaux faibles.

Mais il y a pire, car dans ce contexte difficile, il est un pays qui se distingue par la morosité de ses indicateurs avancés, en l’occurrence notre douce France. En effet, bien loin des performances allemandes mais aussi de celles de ses voisins du Sud, les indicateurs des directeurs d’achat français s’illustrent par une médiocrité qui commence à devenir très inquiétante.

Et pour cause : après un petit rebond technique en janvier, ces indicateurs avancés de la croissance hexagonale sont repartis en nette baisse : 48,5 dans l’industrie (contre 49,3 en janvier) et surtout 46,9 dans les services (après 48,9 en janvier). La corrélation empirique entre ces indices et la variation du PIB montre que ce dernier devrait reprendre le chemin de la baisse dès le premier trimestre 2014 et y rester jusqu’au troisième. Autrement dit, l’économie française devrait connaître à nouveau deux trimestres consécutifs de son PIB, ce qui signifie techniquement une récession.

Même si nous n’en sommes pas encore là et si nous faisons confiance au gouvernement et à leurs nombreux relais d’opinion pour dissimuler cette triste réalité, il est d’ores et déjà évident que l’année 2014 sera très difficile pour l’économie hexagonale, mais aussi pour celle de la zone euro.

Car, même si par miracle, la croissance atteint 1 % en moyenne sur l’année, ce niveau sera hautement insuffisant pour rembourser les intérêts de la dette. Et ce d’autant que l’inflation recule. En effet, pour pouvoir assurer le paiement de ces derniers, il faut que la croissance du PIB en valeur (c’est-à-dire augmentée de la variation des prix) soit supérieure à la charge d’intérêts de la dette. Or, en 2013, cette dernière représentait déjà 3,9 % du PIB pour l’UEM et 2,6 % pour la France. Avec une croissance en valeur de respectivement 0,9 % et 1,1 % l’an passé, le « manque à gagner » était de 3 et 1,5 point de PIB. Comme cela s’observe depuis plus de six ans, il a donc fallu augmenter l’endettement public juste pour rembourser les intérêts de la dette.

En 2014, même avec une croissance en volume de 1 %, ces écarts vont perdurer, voire se creuser. Et ce, pour la double et simple raison que les taux d’intérêt vont augmenter et que l’inflation va baisser. Dans le meilleur des cas, la croissance en valeur sera d’environ 1,5 % en France et dans la zone euro, tandis que la charge d’intérêts de la dette atteindra au moins 4,5 % du PIB dans l’UEM et 3,2 % dans l’Hexagone. Ainsi, le manque à gagner restera de 3 points de PIB dans la zone euro et atteindra 1,7 point en France.

Parallèlement, le chômage restera élevé, les déficits largement supérieurs à 4 % du PIB et la dette continuera de croître. Croissance en berne, risque de retour de la récession, chômage toujours dramatique, déficits et dette pléthoriques. Mais oui, mais oui, calmez-vous, la crise est finie, Monsieur le Président…

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

L’illusionniste Abe et le rebond magique du Japon.


L’illusionniste Abe et le rebond magique du Japon. Le titre d’une fable ? Presque. En 2013 en effet, de nombreux observateurs affirmaient que l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe constituait une garantie du retour de la croissance japonaise. Or, si le PIB nippon a bel et bien progressé de 1,6% en 2013, il pourrait en fait s’agir d’une croissance en trompe l’œil.

Shinzo Abe l’illusionniste

Je crois deviner ce que vous vous dites ; « le Japon, ça se trouve à des dizaines de milliers de kilomètres de l’Europe » ; « le PIB de la zone euro recule de 0,4% en 2013, c’est le réel sujet ». Oui mais l’économie européenne tend à se « nipponiser ». Alors pour vous apprivoiser, je m’essaie à l’exercice de la fable. Une petite fable toute simple qui résume à la fois les espérances d’un peuple et l’expérience inédite d’une nouvelle politique économique.

L’illusionniste Abe,

Tout là-haut de son palais,

Souhaite relancer la consommation et combattre la récession,

Armé de son arc à trois flèches, il désire tuer le dragon de la déflation,

Abe de tous serait alors salué,

Un réel exploit pour le PIB japonais,

Abe l’illusionniste, Abe le fantastique,

L’économie optimiste et les marchés opportunistes,

En retrouvant le pouvoir en décembre 2012 Shinzo Abe avait en effet pour son pays un objectif clair ; remettre le Japon sur le bon rail économique après une quinzaine d’années de croissance molle. Très vite alors, le nouvel homme fort de l’archipel présenta un plan combinant politique budgétaire de relance, mise en place de réformes structurelles et politique monétaire ultra-accommodante.

Pour mener à bien ses ambitions, Shinzo Abe participa en mars 2013 à la nomination de Haruhiko Kuroda au poste de gouverneur de la Banque du Japon (BoJ). Cette dernière devint alors son bras armé. Ensemble, ils fixèrent une cible de doublement de la masse monétaire à travers notamment le rachat massif d’actifs risqués aux banques et le rachat d’obligations publiques. L’objectif consistait alors à sortir progressivement du bourbier de la déflation et d’orchestrer une dépréciation du Yen. Un véritable choc psychologique pour relancer la consommation en interne et booster la compétitivité des firmes nationales à l’export.

Dans ce contexte, la publication le 17 février dernier des chiffres de la croissance japonaise pour l’exercice 2013 constituait un nouveau test de crédibilité pour Shinzo Abe, après celui réussi le mois dernier sur les chiffres de l’inflation (les prix hors produits périssables augmentaient en effet de 0,4%, une première en cinq ans). Et la bonne nouvelle c’est que l’archipel nippon a enchaîné un quatrième trimestre consécutif de croissance, soit une série inédite depuis trois ans. Mieux, le PIB annuel du pays a progressé de 1,6% par rapport à 2012, là aussi un plus haut en trois ans.

Des signaux inquiétants

Pourtant, une fois ces bonnes statistiques digérées, il demeure comme un sentiment amer. Souvenez-vous, il y a un an déjà nous étions dubitatifs quant à la reprise miracle du Japon. Nous nous demandions même s’il ne s’agissait pas en fait d’un mirage. Et après un début d’année en fanfare nos craintes se sont, hélas, progressivement matérialisées.

Le miracle japonais du premier semestre, c’est une croissance en rythme annualisé de 4%. Le retour à la réalité du deuxième semestre, c’est une croissance en rythme annualisé de 1%. Trimestre après trimestre, l’économie japonaise n’a en fait cessé de ralentir pour finalement présenter un taux de croissance de 0,3% au dernier trimestre, quand le consensus tablait sur une hausse de 0,7%.

Malgré la dépréciation organisée du Yen, le commerce extérieur japonais a en effet manqué de dynamisme tout au long de l’année. Ce point est fondamental puisque l’objectif de rétablissement de la balance commerciale nippone justifie en grande partie l’action politique du premier ministre. Or, le déficit extérieur record de 11 475 milliards de yens (environ 82 milliards d’euros), révélé il y a maintenant trois semaines, constitue un premier revers pour Shinzo Abe.

La sévère contreperformance de la balance commerciale japonaise peut cependant s’expliquer par les implications théoriques de la « Courbe en J ». Toute politique de dépréciation de la monnaie engendre toujours dans un premier temps un effet prix supérieur à l’effet volume. Autrement dit, en dépréciant sa devise nationale, un pays doit supporter la hausse du coût des biens et services importés (les commandes étant passées antérieurement) avant de pouvoir bénéficier d’un effet positif via le volume de ses exportations. Dans le cas du Japon, les importations de gaz permettant de faire tourner les centrales thermiques depuis que les réacteurs nucléaires de Fukushima sont à l’arrêt, ont clairement participé à détériorer le solde commercial du pays.

A en croire les mécanismes de la « Courbe en J », les gains de compétitivité des firmes nippones liés à la dépréciation du Yen devraient toutefois engendrer un rétablissement de la balance commerciale dans les années à venir. Pour autant, une fois encore nous demeurons pessimistes quant à la réalisation d’un tel scénario. Premièrement en effet, pour que l’effet volume l’emporte sur l’effet prix, il est nécessaire qu’un pays dévalue unilatéralement sa monnaie.

Or, que ce soit en Chine, aux Etats-Unis ou bien au Royaume-Uni, les banques centrales ont une fâcheuse tendance au dirty floating. Deuxième argument, l’obtention de l’organisation des Jeux olympiques de 2020 pourrait participer à relancer l’investissement dans les infrastructures dopant par la même occasion les importations.

La consommation des ménages menacée ?

Mais il y a encore plus inquiétant. Ce qui est actuellement en train de se jouer sur la demande intérieure du pays, et en particulier la consommation des ménages, revêt une importance capitale. La consommation des ménages constitue structurellement plus de 50% de l’économie nippone. Et s’il est vrai que celle-ci s’est bien tenue tout au long de l’année il convient en fait de mettre en évidence deux phases.

Dans un premier temps en effet, l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe a provoqué un véritable enthousiasme au sein de l’archipel. La confiance des entreprises et le moral des ménages se sont graduellement améliorés alors que le pays sortait de trois trimestres consécutifs de croissance négative. Un cercle vertueux s’est peu à peu dessiné, bien aidé il est vrai par une bonne dose d’incitations déversée dans l’économie. Car en effet, très vite les ménages se sont vu signifier que la taxe sur la consommation augmenterait en 2014, passant de 5% à 8%. Un tel effet d’annonce a participé à rendre leur consommation robuste, en particulier dans un contexte d’inflation quasi nul.

Mais il convient de garder à l’esprit que parmi les objectifs de Shinzo Abe, il y a le retour de l’inflation. Et sur ce terrain, les mesures de l’homme providentiel ont porté leurs fruits, participant ainsi à grignoter du pouvoir d’achat aux ménages lors du second semestre. La consommation s’est donc essoufflée. Le PIB japonais également. Le miracle a tourné au mirage.

Si le moral des ménages est sur une tendance baissière (-0,8 points en janvier par rapport à décembre), la consommation devrait toutefois continuer de croître au premier trimestre 2014, à un rythme modéré cependant. Le cercle des incitations fonctionne en effet toujours et ce jusqu’en début avril, date officielle de la hausse de la TVA. Et ensuite ? C’est là que le bât blesse. Car l’étau dans lequel se trouvent actuellement les ménages japonais pourrait se resserrer. Une hausse de la taxe sur la consommation, conjuguée à une inflation ciblée, est en effet de nature à comprimer leur pouvoir d’achat.

Les traditionnelles négociations salariales du printemps (le « shunto ») qui se sont ouvertes le 5 février dernier apparaissent donc décisives. Une issue positive permettrait en effet à l’économie japonaise d’éviter le scénario noir. Les syndicats demandent donc une hausse significative des rémunérations après des années de stagnation, voire même de baisse. Même Shinzo Abe fait pression sur les patrons pour qu’ils acceptent des hausses de salaires pour soutenir la consommation.

Alors que le doute s’installe sur la reprise économique japonaise, la BoJ a décidé hier de prolonger ses programmes de rachats d’actifs alors même qu’ils devaient expirer prochainement. Cette décision a été saluée par les marchés. Mais ce n’est pas suffisant. Car pour que les injections de liquidités soient efficaces, il faut que les anticipations des japonais soient adéquates. Or à ce stade, seul un accord à la mi-mars sur les négociations salariales est susceptible de modifier leur comportement… pour ensuite donner à la politique monétaire tout son sens….

 

Anthony Benhamou

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf