France, Allemagne, zone euro : la croissance à tout prix… (E&S n°282)

Humeur :

Croissance, croissance !!

0,3 %. C’est le chiffre du jour pour l’économie française. En effet, après avoir stagné au troisième trimestre (contre une baisse de 0,1 % annoncée initialement), le PIB hexagonal a progressé de 0,3 % au quatrième trimestre (exactement le même résultat que pour la zone euro). Grâce à cette « performance » plutôt attendue, son augmentation a également atteint 0,3 % sur l’ensemble de l’année 2013. Enfin, au sortir du quatrième trimestre, l’acquis de croissance du PIB français est de 0,3 % pour 2014. Ah, la magie du chiffre…

Parallèlement à l’exception de l’investissement logement des ménages (-0,1%) et de la formation de stocks (-0,3 point de PIB), tous les postes de la demande ont progressé au cours du quatrième trimestre. + 0,5 % pour la consommation des ménages, + 0,9 % pour l’investissement des entreprises, + 1,2 % pour les exportations. Formidable !

Mais ce n’est pas tout, car si, jusqu’à présent, les acrobaties statistiques de l’INSEE sur le PIB n’avaient pas permis de masquer la baisse de l’emploi, c’est désormais chose faite. Ainsi, pour la première fois depuis le premier trimestre 2012, l’emploi marchand n’a pas baissé dans l’Hexagone. Mieux, en réalisant une progression de 0,09 % au quatrième trimestre 2013, il enregistre sa meilleure « performance » depuis le deuxième trimestre 2011. Face à de telles évolutions, on aurait presque envie de croire aux prédictions de MM. Hollande, Ayrault, Moscovici et autres magiciens du gouvernement. « La crise est finie », « la reprise est là » n’ont-ils par arrêté de nous martelé pendant des mois.

Et si, après bientôt deux ans d’erreurs, ils avaient enfin raison ? Bien entendu, en tant que Français qui aime son pays, nous aimerions répondre positivement à cette question. Seulement voilà, si nous sommes patriotes, nous sommes aussi réalistes et conscients que les déceptions issues de la méthode Coué peuvent être bien plus dramatiques que la vérité, aussi difficile soit-elle à entendre.

Autrement dit, même en faisant l’hypothèse hautement optimiste que les statistiques de l’INSEE sont parfaitement fiables, les résultats passés et à venir de l’économie française ne permettent aucunement de dire que cette dernière est sur la voie d’une reprise durable et soutenue.

Tout d’abord, il faut noter que l’augmentation de 0,3 % du PIB en 2013 fait suite à une stagnation en 2012. L’atonie est donc durable dans l’Hexagone. D’ailleurs, de 2008 à 2013, la variation annuelle moyenne du PIB français n’est que de 0,1 %, soit l’une des plus mauvaises performances des pays de l’OCDE, pays d’Europe du Sud exceptés.

A ce sujet, il faut également souligner qu’au cours des derniers trimestres, la France fait encore moins bien que la plupart de ses partenaires européens. A commencer évidemment par le Royaume-Uni, dont le PIB a augmenté de respectivement 0,8 % et 0,7 % au cours des deux derniers trimestres, réalisant une progression annuelle de 1,9 % l’an passé. Histoire de rappeler que l’efficacité fiscale et la baisse des dépenses publiques sont bien des moteurs de croissance.

Les pays de la zone euro ne sont également pas en reste. A commencer bien entendu par l’Allemagne, qui a réalisé une croissance de 0,4 % au quatrième trimestre 2013 et de 0,6 % sur l’ensemble de l’année, après déjà 2,7 % en moyenne chaque année de 2010 à 2012. La Belgique et les Pays-Bas tirent aussi leur épingle du jeu, avec des croissances de respectivement 0,4 % et 0,7 % au quatrième trimestre.

Même les pays du Sud de l’Europe font désormais mieux que nous : 0,3 % et 0,5 % pour le Portugal au cours des deux derniers trimestres, avec un glissement annuel du PIB de désormais 1,6 % (contre 0,8 % pour la France) ; 0,1 % et 0,3 % pour l’Espagne, avec certes un glissement annuel toujours négatif de – 0,1 %. Heureusement que l’Italie reste encore derrière nous avec 0 % et 0,1 %, soit un glissement annuel de – 0,8 %. Mais, attention, les indicateurs avancés de l’économie italienne s’annoncent meilleurs que ceux de la France, qui risque donc de repasser au dernier rang.

C’est triste à dire mais ces écarts de croissance ne sont pas surprenants, dans la mesure où la France est le seul pays européen qui a refusé de réformer en profondeur ses structures économiques. D’ailleurs, le détail des comptes nationaux du quatrième trimestre et de l’année 2013 est loin d’être si euphorisant que certains le présenteront.

Ainsi, en dépit d’un rebond technique en fin d’année, la consommation des ménages n’a progressé que de 0,4 % sur l’ensemble de 2013, et ce, après avoir baissé de 0,4 % en 2012. Parallèlement, la contribution du commerce extérieur à la croissance du PIB est redevenue négative en 2013, à – 0,1 point. Enfin et surtout, après avoir déjà chuté de 1,9 % en 2012, l’investissement des entreprises s’est encore effondré de 2,3 % en 2013. Par rapport à son sommet du premier trimestre 2008, il enregistre un plongeon de 11,6 %. Et ce en dépit du petit rebond du quatrième trimestre 2013.

C’est bien là que le bât blesse, car avec un investissement des entreprises en berne, l’emploi restera timoré. D’ores et déjà, malgré la bonne surprise du quatrième trimestre, l’emploi marchand affiche une baisse de 1,2 % depuis le deuxième trimestre 2011, soit 196 500 destructions d’emplois nettes.

De quoi rappeler, qu’avec une croissance économique durablement faible, le chômage continuera de croître et la consommation de souffrir. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent les dernières enquêtes de l’INSEE auprès des chefs d’entreprises et des ménages, mais aussi les enquêtes PMI des directeurs d’achat. En effet, celles-ci ne cessent de montrer que la croissance restera faible en 2014.

Selon nos prévisions, elle oscillera entre 0,7 % et 1 %. Or, pour pouvoir créer des emplois, faire baisser le chômage et rembourser les intérêts de la dette publique sans avoir à s’endetter davantage, il faut au moins 1,5 % de croissance durablement. Nous en sommes encore très loin, et les atermoiements autour du pacte de responsabilité, de la baisse des dépenses publiques et de la fiscalité confirment malheureusement que 2014 sera encore une année difficile pour l’économie française. Bonne Saint-Valentin quand même…

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

France–Allemagne : la dérive incessante des balances commerciales.


Vendredi 7 février, à seulement quelques minutes d’intervalle, la France et l’Allemagne ont publié les chiffres de leur balance commerciale pour l’exercice 2013. Un verdict hélas sans surprise. En effet, alors que l’Hexagone affichait de nouveau un déficit extérieur, son voisin outre-Rhin présentait un excédent d’une insolence inédite.

Le grand écart se maintient

« Une minute d’écart, ça peut se transformer en années de placard ». Contrairement à la formule de Michel Audiard, l’écart dont il est question n’est malheureusement pas d’une minute mais plutôt de 259 milliards d’euros. Il s’agit en effet de l’écart, ou plus précisément du fossé, qui sépare le solde de la balance commerciale française de celui de la balance commerciale allemande. Vous imaginez, si une minute c’est le placard, que dire alors de 259 milliards d’euros ? En 2013, la France affichait effectivement une balance commerciale déficitaire de 61,2 milliards d’euros tandis que celle de l’Allemagne s’établissait à un niveau excédentaire record de 198,9 milliards d’euros.

C’est à Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, qu’est revenue la lourde tâche de présenter le tableau des flux commerciaux de la France pour 2013. Et on se rassure comme on peut. Oui la France enregistre bien une baisse de son déficit commercial par rapport à 2012. Mieux encore, il s’agit du deuxième recul consécutif puisque l’année 2011 avait été marquée par un déficit record de 74 milliards d’euros. C’est le verre à moitié plein. Vous souhaitez encore plus d’optimisme ? Alors tenez-vous bien. Le nombre d’exportateurs de biens s’est accru en 2013 pour atteindre un plus haut depuis 2008 à 120 700, ce qui « permet d’envisager l’année qui s’ouvre d’une manière plus positive » selon Nicole Bricq.

Mais la réalité est en fait plus complexe. Et plus douloureuse. Car ce n’est pas le nombre d’entreprises exportatrices qui compte mais bien leur capacité à conquérir des parts de marché. Or sur ce terrain, le verre est quasiment vide. Pour la première fois depuis 2009 en effet, la baisse des importations hexagonales (-2,3%) a été plus forte que la baisse des exportations (-1,3%), traduisant non seulement l’atonie de la demande interne mais aussi le faible dynamisme des firmes à l’international. La France, dont les deux tiers des échanges s’effectuent avec les pays de l’Union européenne, a en particulier pâti d’une conjoncture européenne dégradée. Une stratégie de diversification des zones d’exports semble donc s’imposer avec notamment un développement vers l’Asie, région qui ne constitue que 12,6% du commerce français.

L’excédent allemand progresse pour sa part de 4,5% par rapport à 2012, battant ainsi son précédent record de 2007 où il avait atteint 195,3 milliards d’euros. Pour comprendre les clés de la réussite du modèle allemand, il convient d’observer la structure des partenaires commerciaux du pays. En effet, si de nombreux échanges sont effectués avec la France et les Pays-Bas, Berlin a cherché pendant plusieurs années à intensifier ses relations avec la Chine, qui progressivement, est devenue son troisième partenaire commercial. Depuis qu’elle est à la tête du pays, Angela Merkel a d’ailleurs effectué six déplacements officiels au sein de l’Empire du Milieu, élément visant clairement à consolider la stratégie commerciale allemande.

Une stratégie qui s’avère payante. En 2013, le deuxième pays exportateur du monde présentait en effet un solde commercial avec ses partenaires européens quasi nul, l’ensemble de l’excédent étant réalisé vis-à-vis du reste du monde et notamment avec le partenaire chinois. De quoi cependant alimenter les critiques de la Commission européenne quant aux présupposés déséquilibres macroéconomiques que provoquent ses excédents commerciaux au sein de l’Europe. L’Allemagne écrase-t-elle cependant volontairement ses voisins et notamment la France ? La diversification géographique suffit-elle à expliquer le fossé de 259 milliards d’euros qui sépare le solde de la balance commerciale française de celui de la balance commerciale allemande ?

A l’origine du déséquilibre, des raisons structurelles

Il existe en réalité plusieurs raison qui permettent d’expliquer la domination commerciale allemande sur l’Europe et, plus particulièrement, sur son voisin français. Certaines sont justifiées, d’autres moins. Tout d’abord, depuis près de deux décennies, l’Allemagne s’est spécialisée dans la production de biens à haute valeur ajoutée, se forgeant ainsi au fur et à mesure des années une réputation indéniable. La compétitivité hors prix du pays dépasse donc largement celle de la France dont la spécialisation sectorielle reste encore relativement limitée. A titre d’illustration, le poids de secteur industriel dans le PIB français est légèrement inférieur à 20% alors qu’il constitue près de 30% en Allemagne.

Si la qualité de la production allemande est un fait incontestable, le pays affiche en outre une compétitivité par les coûts, hors pair. Selon certaines études, il existerait en effet un écart de coûts salariaux de 14% entre l’Allemagne et la France. Cet élément s’explique notamment par les réformes Hartz, menées entre 2003 et 2005 sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder, qui ont participé à l’accroissement des emplois atypiques (intérim, CDD et les fameux mini-jobs) et ainsi permis de moduler la durée du travail et de pratiquer des modérations salariales. Une autre partie de l’explication tient au modèle même de la « multinationale allemande type » dont l’externalisation fait partie intégrante du processus de production. Aussi, de nombreux segments de la valeur ajoutée sont produits à bas coûts dans des filiales implantées en Europe centrale pour ensuite être réintégrés dans la production nationale.

L’origine du déséquilibre semble ainsi trouver son origine, à la fois dans le sérieux de la production allemande, mais aussi dans les courageuses réformes menées sur le marché du travail. Certains pointent toutefois du doigt le rôle joué par l’euro. En effet, bien que les pays de la zone monétaire partagent une monnaie commune, chaque Etat a en fait son propre niveau de parité d’équilibre, appelé NATREX. Aussi, si l’euro côte actuellement entre 1,36 et 1.38 dollar, le NATREX français s’établit à 1,15 dollar et le NATREX allemand est à 1,35 dollar. Autrement dit, le déficit de la balance commerciale hexagonale pourrait s’expliquer par une monnaie trop forte, élément qui toutefois n’handicaperait pas le commerce extérieur allemand au regard de la parité d’équilibre du pays.

Une nouvelle « bataille politique » devrait ainsi s’ouvrir en France. L’euro est trop fort. Arnaud Montebourg, le tristement célèbre ministre du redressement productif, veut ainsi faire baisser le cours de la monnaie unique, estimant que son niveau actuel « annihile les efforts de compétitivité » menés dans le pays. Faire baisser l’euro est-il alors véritablement possible ? Et un rétablissement de la balance commerciale peut-il en découler ?

L’appréciation de la devise européenne s’explique par le fait qu’elle est plus achetée que vendue. Une bataille politique ne suffirait donc pas à changer le comportement des investisseurs sur les marchés. Admettons toutefois que la BCE aille au-delà de son mandat et intervienne pour faire baisser le cours de l’euro. La dépréciation de la monnaie profiterait alors peut-être à la France, mais également à l’Allemagne, ce qui ne garantit en rien une progression des parts de marché de l’hexagone dans le commerce international. Comment d’ailleurs à ce sujet ne pas évoquer l’exemple japonais qui, malgré une dépréciation organisée du Yen par la Banque du Japon, a connu en 2013 un déficit commercial record.

En fait le réel problème français réside dans le fait de toujours vouloir trouver une justification à l’échec plutôt que de comprendre pour rectifier. La technique du bouc-émissaire. Trop d’énergie dépensée à la communication plutôt qu’à l’action. Résumons. Dans un premier temps, malgré des données insatisfaisantes on nous dit que le déficit commercial s’inscrit dans une trajectoire encourageante… Puis on nous dit qu’en fait c’est de la faute de l’Allemagne qui étouffe ses partenaires… Puis finalement, c’est l’euro le problème. Mesdames, Messieurs les politiques, cessez de grâce ce discours qui ne fait que décourager les entreprises et les consommateurs. L’Allemagne est une puissance mondiale parce qu’elle a entrepris des réformes structurelles. Nous pouvons encore le faire… Le train de la reprise est encore à quai, ne surtout pas le rater…

 

Anthony Benhamou

 

 



Les évènements à suivre du 17 au 21 février :


Petite baisse des indicateurs avancés des deux côtés de l’Atlantique.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2014 :