France, Hollande, Irlande : du neuf ou du bluff ? (E&S n°278)

Humeur :

Hollande en 2014 : du neuf ou du bluff ?

Est-il encore opportun de rédiger un nouvel article sur l’apparent changement de cap du Président Hollande ? En effet, comme nous le pressentions la semaine dernière, les annonces de ce dernier lors de sa conférence de presse tant attendue du 14 janvier ont été globalement décevantes. Et ce, non seulement parce qu’elles sont restées très floues, mais aussi parce que leur application risque de prendre beaucoup trop de temps. Or, la France n’en a plus. Pour aller plus vite, il aurait été préférable de passer par des ordonnances, mais, comme trop souvent depuis une vingtaine d’années, l’exécutif français préfère créer des conseils stratégiques, commissions et autres comités en tout genre.

Dans le cas présent, il s’agit de la création d’un « conseil stratégique de la dépense publique », d’un « observatoire des contreparties », d’un « conseil de l’attractivité » et d’un « conseil de simplification ». Rien que ça. Cela en devient presque risible, mais surtout triste : pour décider de baisser les dépenses, on commence par les augmenter. De même, pour simplifier la vie des Français et notamment des entreprises, on propose un « pacte de responsabilité » qui est tout sauf simple. Et pour cause : la baisse des charges qui pèsent sur les salaires sera conditionnée à des créations d’emplois. Mais lesquelles ? Dans quelle proportion ? Que va devenir le tout aussi complexe CICE qui apparaît d’ores et déjà mort-né ? Bref, pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ?

A ce titre, les prédécesseurs de François Hollande et de son gouvernement n’ont d’ailleurs aucune leçon à leur donner. En effet, cela fait vingt ans que la dépense publique ne cesse de croître bien plus que le PIB et les innombrables déclarations, lois, commissions, rapports… censés inverser cette tendance dramatique pourraient remplir un dictionnaire.

Dire une telle réalité n’est absolument pas du « French ou du Hollande bashing », mais cela relève simplement du ras-le-bol de plus en plus de citoyens qui aimeraient que leur pays prenne enfin le bon chemin, avant qu’il ne soit vraiment trop tard.

Bien sûr, tout le monde aimerait croire que le vrai et bon changement est pour demain. Malheureusement, après tant d’années de déception et le flou artistique qui entoure les dernières annonces, nous sommes contraints de rester circonspects.

Et ce, d’autant que la volonté affichée par le Président français est très éloignée de celle dont avait fait preuve Gherard Schröder ou Tony Blair en leurs temps. Car pour convaincre ses concitoyens, il faut d’abord être convaincu soi-même, apparaître comme tel et faire preuve d’une force de persuasion sans faille. Cet engouement irréprochable est particulièrement indispensable dans l’Hexagone où le peu de culture économique de la grande majorité de Français se résume souvent à celle de la lutte des classes.

Les réactions politiques qui ont suivi les annonces du Président montrent d’ailleurs l’ampleur des dégâts. « Insuffisant » pour l’opposition, qui, en dix ans, n’a pourtant pas réussi à réaliser un dixième de ce qui est annoncé aujourd’hui. « Trop libéral » pour les syndicats et même pour certains membres de la majorité actuelle.

Pour éviter de telles querelles, il aurait été préférable, comme nous le défendons régulièrement, d’abaisser sans conditions les charges et les impôts qui pèsent sur les entreprises (par exemple l’impôt sur les sociétés), tout en réduisant la pression fiscale qui pèse sur les ménages (par exemple la CSG, qui, rappelons-le, était un impôt temporaire créé par Michel Rocard en 1991…). Le problème est que pour engager un programme aussi ambitieux, il faut avoir le courage de baisser drastiquement la dépense publique. Or, en dépit des effets de manche du Président, il y a fort à parier que le poids de cette dernière continuera d’augmenter dans les prochaines années.

Parallèlement, prendre des mesures à l’horizon 2017 alors que la France a besoin d’un électrochoc depuis au moins dix ans relève de la gageure et montre la faible crédibilité du programme annoncé.

Sans attendre 2017, ni même la fin 2014, une première échéance déterminante se profile pour le 24 janvier, date à laquelle Moody’s devrait encore dégrader la note de la France. Le Président pense-t-il raisonnablement que les mesures présentées le 14 janvier suffiront à endiguer l’augmentation à venir des taux d’intérêt obligataires et à empêcher la rechute de l’économie française qu’annoncent déjà les indicateurs des directeurs d’achat depuis trois mois ?

Peut-être, mais ce ne sera évidemment pas le cas. De même, lorsque François Hollande défend qu’il fait bon vivre en France et que les Français sont jalousés par la grande majorité des autres terriens, il faudrait peut-être qu’il descende de son nuage ou du moins qu’il vive quelques jours dans une cité HLM où les tensions sociales et ethniques sont de plus en plus catastrophiques, qu’il passe un peu de temps dans une des nombreuses entreprises hexagonales en cessation de paiement, ou alors qu’il se rapproche des nombreux Français exilés à travers la planète et qui ne veulent plus revenir dans leur douce France, non par manque de patriotisme, mais par peur de ce qui les attend à leur retour.

Ah, le déni de réalité a vraiment la vie longue… Or, pour pouvoir résoudre un problème, il faut d’abord l’identifier précisément, le reconnaître en toute honnêteté et l’accepter. C’est alors que le traitement peut commencer, avec en ligne de mire une guérison définitive. La plupart de nos partenaires européens et internationaux l’ont compris. Il est grand temps que les dirigeants politiques français le comprennent aussi. A moins qu’ils n’y aient pas intérêt. C’est bien cela le nœud du problème : à qui profite le crime ? Tant que les politiciens français n’auront pour seule ambition que d’être élus et réélus, le changement constamment promis depuis trente ans restera un grand bluff…

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Le tigre celtique peut-il encore sortir ses griffes ?


Le 15 décembre dernier, l’Irlande s’est officiellement affranchie du plan d’aide élaboré par la troïka en 2010. Après avoir traversé une tempête économique sans précédent depuis 1980, le pays semble enfin renouer avec sa réputation de tigre celtique, acquise à la fin des années 1990. Pour autant, il n’est pour le moment pas question d’évoquer un quelconque succès des politiques d’austérité. Car si la culture du consensus a eu raison de la crise économique, le pays doit désormais faire face à une montée du risque social.

Un retour progressif sur le bon rail économique

A l’instar de son voisin britannique, l’Irlande n’a pas raté le tournant de la reprise économique en 2013. Les bons chiffres du PIB au troisième trimestre (+1,5%) sont effectivement venus confirmer la reprise amorcée lors des deux trimestres précédents (respectivement +0,4% et +1,0%).

Et les prévisions pour les années à venir ont de quoi laisser rêveurs de nombreux pays d’Europe et plus particulièrement de la zone euro. Portée notamment par l’investissement des entreprises, la croissance irlandaise pourrait en effet atteindre 2,2% en 2014… bien loin cependant des niveaux d’avant crise où le pays affichait régulièrement des taux supérieurs à 5,0%.

S’il convient donc de rester prudent quant à la bonne santé économique du pays, la dynamique est toutefois belle et bien en marche. En témoigne notamment l’assainissement progressif des finances publiques du pays ; en 2013 ainsi, le déficit devrait être ramené à un peu plus de 7,0% du PIB contre 8,2% en 2012, 13,1% en 2011 et surtout 30,6% en 2010 (record absolu en zone euro depuis sa création). Un rythme particulièrement bien soutenu qui tend à rassurer de nombreux investisseurs et laisse ainsi à penser que l’Irlande pourrait satisfaire aux exigences de la Commission européenne dès 2015.

Les efforts de l’Irlande commencent à porter leurs fruits.

Sources : FMI et ACDEFI

Il faut dire aussi que la politique de rigueur que le gouvernement a été contraint de mettre en place en 2010 s’est révélée singulièrement efficace. En faisant le choix du courage (qui se traduit par une coupe drastique dans les dépenses publiques plutôt que par une hausse effrénée de la fiscalité), l’Irlande est en effet parvenue à conserver son attractivité, en particulier auprès de grandes entreprises internationales (Google, Facebook et Paypal par exemple). Comment en effet ne pas citer ce taux d’imposition sur les sociétés de (seulement) 12,5% ? Une étude menée récemment par le magazine américain Forbes vient d’ailleurs de nommer l’Irlande comme le meilleur pays du monde pour faire des affaires.

Force est ainsi de constater que l’Irlande effectue un retour au premier plan sur la scène économique internationale. Et même si de nombreuses incertitudes demeurent (voir plus loin), les marchés sont désormais enclins à réaccorder du crédit au pays, reconnaissant par la même occasion les progrès réalisés.

Preuve probante de ce retour en grâce, la levée le 7 janvier dernier de 3,75 milliards d’euros sur le marché obligataire à dix ans au taux de 3,54%. Une transaction réussie qui témoigne du regain de confiance des investisseurs quant aux perspectives économiques du pays.

Et si le consensus laissait place au malaise ?

Mais le chemin fut long et non sans douleur. C’est en 2007 que le miracle économique irlandais s’est progressivement transformé en cauchemar. Il y eut tout d’abord cette chute des prix de l’immobilier qui mit à mal l’ensemble du secteur bancaire du pays. La chute de Lehman Brothers en 2008 finira de l’anéantir.

En se portant garant des banques (l’aide apportée constituait alors un peu plus de la moitié du PIB), le gouvernement irlandais plongeât le pays dans la crise de la dette souveraine. Habitué aux excédents budgétaires, il laissa en effet filer les déficits et gonfler la dette (plus de 120% du PIB en 2013 contre 24,9% en 2007 et 44,2% en 2008).

Longtemps adulé par ses partenaires européens, le pays devint rapidement l’exemple à ne plus suivre pour sa gestion de crise. Le creusement insondable des finances publiques, nécessita alors l’élaboration par la troïka d’un plan de sauvetage de 85 milliards d’euros en contrepartie d’une cure d’austérité carabinée ; hausse de la TVA, réduction des aides sociales et affaiblissement des collectivités locales. Conjuguée à l’action de Mario Draghi à la tête de la BCE (à travers sa célèbre formule « Whatever it takes » et la création du programme OMT), la rigueur irlandaise porta finalement ses fruits.

Il ne faut pourtant pas tordre la réalité. Cette sortie de crise balbutiante que l’Irlande connait tient beaucoup plus à la « logique de l’honneur » du pays, fondée sur la culture du consensus, qu’aux réformes menées. Ces dernières n’ont en effet pas participé à l’apparition de heurts majeurs à l’inverse des autres pays de la périphérie européenne. Et à l’heure où certains louent la sortie de crise du pays, de nombreux problèmes internes demeurent.

Outre le niveau insoutenable de la dette publique, la situation sur le marché de l’emploi s’avère effectivement peu reluisante (le taux de chômage était de 12,3% en novembre dernier contre un niveau structurel d’avant crise de 5,5%) et l’accroissement des inégalités est un fait indéniable.

Car pour conserver sa compétitivité à l’international, élément clé qui a conféré à l’Irlande sa réputation de tigre celtique, les entreprises nationales ont dû procéder à des dévaluations internes ; les salaires ont au mieux stagné, au pire reculé de plus ou moins 12% en fonction des secteurs. Petit à petit, la crise économique cède ainsi sa place à un malaise social comme en atteste l’émigration de masse que connait actuellement le pays.

Pour mémoire il y a encore six ans, parmi les pays d’Europe, l’Irlande était celui où l’immigration était la plus forte. Or, à en croire les chiffres fournis par le Central Statistic Office (CSO), depuis le déclenchement de la crise en 2008, environ 400 000 personnes (8% de la population) auraient quitté le pays

« Donne-moi ta main et prends la mienne, mais oui mais oui, la crise est finie ». Telles pourraient être les paroles chantées conjointement et joyeusement par le gouvernement irlandais et les experts de la troïka. Mais attention, cette apparente happy end constitue en fait une victoire politique et non économique, ni même sociale. Bien au contraire. Car si jusque-là les citoyens irlandais se sont montrés très compréhensifs (relativement à leurs homologues grecs, portugais et espagnols), le pays n’est certainement pas à l’abri de troubles sociaux futurs.

 

Anthony Benhamou

 

 



Les évènements à suivre du 20 au 24 janvier :


Zone euro : des directeurs d’achat un peu plus inquiets.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2014 :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf